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Au sujet de Sex. Death. Transcendence. de Linda Troeller

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Le livre de Linda Troeller, reprend plusieurs décennies d’autoportraits. Combien de femmes artiste ont-elles immortalisé leur nudité, parfois dans une perspective érotique, au-delà de cinquante ans ? Je pense d’abord à l’autoportrait d’Alice Neel à plus de quatre-vingt ans, et puis en photographie, à quelques images tardives du couple Millet/Henric, au travail de Vanda Spengler, à un portrait d’Irene Bobbie Libarry par Imogen Cuningham, à des clichés d’Emmet Gowin immortalisant le corps de sa femme Edith au fil des années de leur vie de couple, mais rapidement les références me manquent.

Voir en ligne : http://www.lindatroeller.com/

Comme les fragments réagencés d’un journal intime, l’œuvre autobiographique de Troeller ne cache rien. Rides, tâches et toutes les marques de l’âge se sont formées. Avec quelque chose d’improvisé et maîtrisé à la fois, avec des angles rappelant l’univers du selfie, le travail de Troeller dégage une forme de facétie, perruques et bigoudis en tête, un maquillage épais qui file dans les plis, un sheet mask sur la face ou encore les paupières mauves s’auscultant les poils du menton.

Autant de cadrages serrés sur la face qui disent l’émotion du jour, où Troeller se joue des clichés du genre et de l’âge, tout en ouvrant à l’autre une fenêtre sur son quotidien avec simplicité. Encouragée par Georgia O’Keeffe dans les années soixante-dix alors qu’elle était encore très jeune artiste, la pratique de Troeller est ritualisée et rejoint une forme d’introspection tout en saisissant l’état de son corps à un moment donné. Dévoilant son processus créatif, Troeller évoque une dimension chamanique, une connexion spirituelle. Il y est question également au fil des jours et des années de saisir une métamorphose, même si l’ouvrage préfère une forme d’ironie à toute tentation chronologique.

Dans cette quête d’un être qui s’observe, change, prend et reprend des poses, l’érotisme occupe une place importante. Le titre abonde également en ce sens, celui d’une sexualité comprise comme énergie, une sexualité épiphanique qui par la modification d’un état de conscience permet un accès à une forme de transcendance. Cet aspect-là, qui court en Occident de Platon à Bataille (ce titre n’a-t-il pas à voir avec Bataille ?) et bien ailleurs sous de vibrantes formes, se joue vraisemblablement des critères à la mode, du beau et du laid, de ses tendances fluctuantes et commerciales et pourtant la question se pose aussi en ces termes, celui des liens et des conditions de possibilité de la pratique sexuelle.

Qu’en est-il alors, en système capitaliste, nécessairement jeuniste, de la vitalité des corps vieux, de la possibilité d’être touché, caressé, excité et excitant, aimer aussi, si un lien existe parfois entre le sexe et l’amour ? Est-il possible d’être périmé pour les choses de l’amour ? Le travail de Troeller s’attaque au lien entre norme et désirabilité. Par-delà des monceaux de représentations de jeunes femmes nues, Troeller âgée se représente au bain, en Suzanne dégagée des vieillards, fesses offertes, debout, une cuisse écartée, ou encore en dentelle rouge, la tête coupée par le cadrage invitant à regarder le centre du corps.

Outre la beauté évidente des images, la force de l’œuvre est de toucher un grand nombre de personnes par le biais d’un devenir minoritaire fréquent en Occident. Celles et ceux qui ont la chance de vivre assez longtemps pour devenir vieux, embrasseront alors le sort des vécus hors norme, marginaux, minoritaires et dominés, les vieilles, les grosses, les handi, les moches, les malbaisées auxquelles Virginie Despentes fait référence au début de King Kong théorie. Mais justement malbaisées, peut-être pas, peut-être que quelque chose change, que l’esprit de Fourier ou de Reich œuvrant à l’épanouissement sexuel des êtres va peut-être finir par gagner du terrain, que le temps de la formulation de la violence sexuelle engendrera, engendre déjà, de nouveaux horizons pour nos amours. Plaidons que l’œuvre de Troeller soit visionnaire.

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++INFO++
Sex.Death.Transcendence. de Linda Troeller avec un texte de Darcey Steink TBW Books ISBN 978-1-942953-51-7 55 euros

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