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Pierre Fauret - l’animal comme expérience de soi 

6ème pari critique d un artiste sénior sans galerie

 EggO, 2015/2016 cire, huile et fibre de verre sur armature, fauteuil 80 x 80 x 135 cm Crédit photo : Bénédicte Deramaux
EggO, 2015/2016 cire, huile et fibre de verre sur armature, fauteuil 80 x 80 x 135 cm Crédit photo : Bénédicte Deramaux
Les dessins, sculptures et installations de Pierre Fauret sont hantés de figures animales réelles ou imaginaires, ces « complices » comme il aime les présenter lui permettent d’appréhender la nature humaine. Depuis la fin des années 90, ce vétérinaire de formation, imagine des fables contemporaines sur nos rapports aux vivants. Les personnages qui peuplent ses œuvres sont d’une inquiétante étrangeté et fonctionnent en rhizome. D’œuvres en œuvres c’est un véritable langage, une narration qui se dessine. Au cœur de son processus créatif, un rôle particulier est conféré à l’animal. Il permet à première vue à l’artiste de jouer avec les codes de la fable ou de la farce, mais cela serait réduire son travail à une fonction moralisatrice que de s’arrêter à cette interprétation.

Voir en ligne : https://pierrefauret.com

Une vision aristotélicienne de l’animal

A y regarder de plus près, Pierre Fauret en évitant toute hiérarchie, dépeint une vision aristotélicienne de l’animal. En effet ses œuvres sont un témoignage de notre manière d’avoir longtemps pensé la nature humaine comme un monde à l’écart des vivants et de la nature même, tel un processus autotélique qui n’a évolué qu’en recourant exclusivement à ses potentialités internes. Dans lequel chaque strate franchie aurait permis à l’homme de se libérer de sa bestialité, puis de sa barbarie. En évitant toute hiérarchie entre les animaux et la confrontation avec l’humain, lui préférant une forme de fusion comme en témoignent les animaux anthropomorphes que l’artiste imagine, Pierre Fauret s’inscrit ainsi dans cette vision du vivant, où l’homme n’est qu’un animal parmi les autres.

L’histoire de l’art est peuplée de représentations animales, elle est au cours des siècles devenue un témoin de l’évolution de notre rapport au vivant. Ici la représentation animale et ses mutations, apparaissent tel un mal nécessaire, un point de connexion pour comprendre le vivant et la place de l’homme. A travers installations et dessins, Pierre Fauret met en place une méthode qui témoigne des inepties dont est régulièrement contraint le règne animal. Ainsi dans l’œuvre Le Chant du monde, l’artiste représente à l’aide d’animaux présents sous forme de logos comment nos sociétés les utilisent comme outils de commercialisation pour parfaire des stratégies de consommation toujours plus agressives. L’amas d’emballages devient ici fétiche de la révolte animale dans un monde où l’être humain asservit la nature. La présence de la batterie, de câbles et de la bande son stridente, dégage une réelle violence comme un dernier cri au secours.

Les formes animales et organiques imaginées par l’artiste ont un effet cathartique pour le spectateur. Confronté à ses propres représentations du vivant, il oscille parfois d’une même œuvre entre fascination et détestation. L’animal domestique est absent chez Pierre Fauret, le choix de l’animal sauvage n’est donc pas anodin. Ce dernier suscite parfois des émotions contradictoires, souvent ambivalentes. Les représenter renvoie à une expérience de soi décisive. Or cette expérience est à mettre en relation avec une forme d’éducation par la coordination des émotions suscitées. L’effet cathartique pour le spectateur, le contraint à repenser l’interaction homme-nature. Traditionnellement, dans le passé, les représentations des animaux convoquaient des rituels pour permettre cette interaction. Dans la démarche de l’artiste, elle se trouve dans ce qu’Aristote nomme la médiété. Théorie qui fait de la vertu un juste milieu entre des excès contraires. Une relation réciproque, que l’on retrouve dans la philosophie grecque et cette notion d’interaction est omniprésente dans la démarche de l’artiste. L’interaction apparaît à travers différents niveaux. Elle peut s’opérer par fusion, directement avec l’humain comme ces nombrils apparaissant sur des œufs imaginés par l’artiste ou autres créatures anthropomorphes telles que Crocodilus maximus, ou encore dans sa pratique du dessin en général. Le second procédé de fusion s’opère entre l’animal et les objets du quotidien de l’homme, du mobilier d’intérieur principalement : fauteuils, tables basses, miroirs, guéridons et valises. Pierre Fauret imagine des assemblages faits de récupérations comme ces roches qu’il vient sculpter, parfois peindre pour créer ce bestiaire insolite et troublant. Au fur et à mesure de ces expérimentations, l’artiste révèle un guide illustré de la nature humaine en prise avec son écosystème.

  Le paradigme du refuge comme quête de soi et d’un possible renouveau   Derrière cette notion d’interaction de médiété, le paradigme du refuge apparaît en filigrane. Du fait de sa formation l’on pourrait s’attendre à une vision quasi scientifique des liens inter espèces, mais l’artiste préfère questionner ces relations pour mieux révéler les aspects et déviances psychologiques de l’humain. En effet, le paradigme du refuge a diverses formes, néanmoins il est toujours question de révéler une quête de compréhension de soi. Tout d’abord par l’aspect familier, qui se dégage de ces œuvres et le recours aux objets usuels, précédemment évoqués. Parallèlement, les motifs du nid et de l’œuf qui sont apparus ces dernières années dans la démarche de l’artiste, révèle tour à tour les notions de soin et de fragilité intrinsèquement liées au concept de refuge.

La série Nécessaire de voyage, illustre parfaitement cette idée. L’artiste y conserve précieusement des œufs en pierre protégés par de la cire d’abeille dans des valises et malles. Dans certaines œuvres, le soin se mue en piège. Cette dualité subtile que l’on retrouve dans l’œuvre EggO. L’œuf démesuré imaginé par l’artiste ne peut quitter le magnifique fauteuil sur lequel il a été déposé. Faut-il rappeler que l’œuf est un symbole de la conscience dans de nombreuses cultures ? Autre élément, l’évolution des titres auxquels a recours l’artiste est éloquent. Elle témoigne parfaitement des différents rouages de la construction du paradigme du refuge et de l’enjeu des titres dans ce processus de compréhension de soi. Initialement ils avaient un aspect scientifique et venaient témoigner de l’hybridation de manière plus ou moins directe comme dans Crocodilus maximus ou encore Proboscidus machistador. Puis s’opère un tournant en 2015, le titre vient maintenant clairement évoquer ce rapport à la conscience humaine comme dans EggO, et les dessins automatiques de la série Que font les animaux quand je ferme les yeux ? ou encore dans l’œuvre Ces salopes de sirènes, qui fait allusion aux problèmes d’addictions.   Les animaux qui interviennent dans ce conte philosophique, dans lequel l’artiste forme des identifications partielles à l’homme, met en exergue des aspects de sa nature complexe, des miroirs de ses pulsions, de ses instincts plus ou moins domestiqués, avec humour et poésie, et forment ainsi une zoologie étrange. Le recours à l’animal pour l’artiste est l’occasion de mettre en lumière sans dénonciation moralisatrice, simplement nous rappeler que chacun d’eux, correspond à une moitié de nous-même. L’animal devient alors un archétype et représente les couches profondes de notre inconscient. Un symbole d’un écosystème sacrifié par les vanités humaines.

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++INFO++
Docteur vétérinaire de formation, Pierre Fauret développe à partir de la fin des années 90 un monde de figures organiques et animales pour lesquelles hybridation et métamorphose sont des thèmes récurrents. Sa pratique pluridisciplinaire, faite de recyclages, d’assemblages et de juxtapositions, engendre un bestiaire sauvage dont les personnages troublants, à l’entre-deux du connu et de l’inconnu, nous interpellent sur notre volonté de domination du vivant. Son travail a été présenté dans diverses expositions personnelles et collectives : « J’ai été le roi des animaux », La Ligne bleue, (Carsac-Aillac, 2021), « anima[L] », le Carmel (Tarbes, 2019), « Carne » (Paris, 2010), Slick (Paris, 2008), St-art (Strasbourg, 2008 & 2009), « Animalités », Maison des arts Claude et Georges Pompidou (Cajarc, 2005), « Méditerranée, hic et nunc » (Monaco, 2000). Il figure dans des collections privées et publiques, dont le Delmenhorst Stadtmuseum (Allemagne), la collection de la ville de Tarbes ou l’Artothèque du Lot.

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