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Shanta Rao et son double

Terminaisons nerveuses
Terminaisons nerveuses
« Le besoin de combler un manque visuel » écrit Shanta Rao à propos de « Cinq et la peau », une série photographique sur l’onanisme masculin du début des années 1990. Ce besoin de combler une carence visuelle nous renseigne sur les trames qui travaillent son œuvre. L’absence de l’autre, la recherche de substitut et une épiphanie fantasmatique de cet autre constituent les liens invisibles qui relient des travaux formellement différents.

En 1998, Shanta Rao part pour le Tamil Nadu, état fédéré de l’Union indienne au Sud du sous continent. Son père en a quitté la capitale, Chennai, à l’âge de 25 ans. L’artiste ne possède aucune image de lui à cette époque. De son séjour, elle revient avec des photographies qu’elle propose en diptyque, sans accointance formelle, mais montrant des jeunes gens d’une vingtaine d’années. « Father Figure », les figures du père sont tour à tour de jeunes policiers, bras croisés dans le dos, épaules en arrière, fiers d’être photographiés ou ces deux employés de bureau, chemise blanche et cravate noire…Ils fixent l’objectif, ils présentent bien. « Peu à peu l’image de l’homme glissait vers une féminité qui m’attire énormément » confie l’artiste. Si sa démarche renvoie à son rapport avec les hommes et non uniquement son père, cette remarque sur un glissement vers une forme de féminité s’inscrit aussi dans les rapports troubles qu’entretiennent l’Inde et l’Occident notamment européen. Cette féminité de l’homme indien fut, en effet, un des sous entendus latent diffusés par les britanniques lors de leur présence dans le sous continent, dés débuts du XVIIème siècle jusqu’en 1947. Dans un pays où les rapports entre les sexes sont très codifiés, où la pudeur est toujours de mise, la coquetterie des hommes et la réalité des amitiés masculines étonnent encore l’œil européen. Toujours un peigne à porter de mains, le plis du pantalon parfaitement marqué au fer, le petit doigt crocheté à celui de son ami et ce bien après l’âge de l’école élémentaire. Tant d’éléments qui avaient nourri les commentaires britanniques sur le manque de virilité des indiens, sur la nature efféminée des hommes notamment dans le sud du pays. La mise en avant de la virilité de l’homme indien est d’ailleurs un des éléments rhétoriques des partis d’extrême droite dans le pays. Il n’est pas rare de voir certains de leurs représentants, notamment pour le parti ultra hindouiste de la Shiv Sena, soutenir des clubs d’haltérophilie ou de musculation. La douceur et la démonstration de force, l’annihilation des paradoxes comme aime à le faire ce pays, troublant toujours les pistes permettant son intelligence.

Henri Michaux dans « Un barbare en Asie », revient dans sa préface pour expliquer jusqu’ou se niche l’autre, en l’occurrence lui-même, réfléchissant sur ce texte qu’il avait écrit lors d’un premier voyage, et réfutant pour partie ce que racontait l’autre Michaux, alors jeune homme. Shanta Rao s’est inspirée de ces écrits pour sa série « Les européens qui ont eu des rapports avec des femmes indiennes ont été déçus ». Il serait un peu rapide de considérer cette série comme un nouveau chapitre ouvrant sur les rapports entretenus entre les habitants natifs d’un pays et l’autre, l’étranger. Des rapports qui travaillent historiquement l’histoire de l’Inde moderne et contemporaine. Les premières séries de Shanta Rao renvoyaient déjà à cette réalité, son père est né et a vécu en Inde mais ceci n’est pas la réalité de l’artiste. Près de vingt millions de personnes constituent la diaspora indienne à travers le monde. L’Inde ne reconnaissant pas la double nationalité, beaucoup de ces NRI, Non resident Indians, vivent dans un entre-deux qui interrogent de façon permanente le rapport à l’autre. Les images absentes, la carence de certains souvenirs, le regard des autres sur eux nourrissent au quotidien ce rapport à l’identité. Le travail de Shanta Rao ne s’inscrit pas directement dans cet entre-deux culturel, elle ne peut en être la représentante. Elle porte ce questionnement au niveau de l’universel. Un questionnement explicitement introduit dans sa série « Terminaisons nerveuses-Nerves endings ». L’image médicale des terminaisons nerveuses renvoie vers la réalité du membre fantôme. Pour le cerveau, le membre amputé est encore là et le court-circuitage nerveux provoque des douleurs réelles pour le malade, la réalité fantomatique du membre disparu se fait sentir. En jouant de cette image fantôme, activant sans cesse le souvenir, Shanta Rao rentre dans l’ombre de l’autre, souhaite sa mort, le piétine et le traverse ou l’idéalise au point de vouloir disparaître en lui. Cette universalité du sentiment amoureux contient son pendant, la peur de l’autre, la dissymétrie des relations comme elle les met en scène au travers de « Bang Bang partner ». Exotique, drapée d’un sari rouge, elle plie devant le soldat menaçant, le colon, bien que « Sans Titre 5 » montre un soldat aux traits indiens, peut être un cipaye, soldat indien enrôlé dans les rangs des armées britanniques de l’empire des Indes. Ne sait-on jamais de quel Autre il faut réellement se méfier ?

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Avec la participation de / With the participation of Cathy Cat-Rastler, John Cornu, Claudia Huidobro, Nina Korhonen, Dennis Kuhlow, Julie Polidoro, Shanta Rao, Brigitte Zieger

Galerie Odile Ouizeman 10/12 rue des Coutures Saint-Gervais 75003 Paris / France Tel : +33 1 42 71 91 89 / Fax : +33 1 42 71 94 13 contact@galerieouizeman.com - www.galerieouizeman.com

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