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L’amour c’est comme la vidéo

Artiste en zones troublées_Lionel Soukaz, Stéphane Gerard
Artiste en zones troublées_Lionel Soukaz, Stéphane Gerard
Le Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris (FCDEP) porté par le Collectif Jeune Cinéma proposait cet automne 32 films en compétition, sélectionnés parmi plus de 1200 films reçus. A la lisière du cinéma documentaire et de la vidéo d’art, le cinéma expérimental, qui au fond ne se préoccupe pas de ces chapelles étroites, reste peu projeté lorsque l’on vit loin de Paris, ou d’autres grandes villes. Aussi, je remercie l’équipe du collectif d’avoir proposé des accréditations à distance, permettant à un regard profane de goûter quelque peu de cette très riche 25 ème édition, qui outre sa compétition internationale proposait également plusieurs focus sur le sport.

Voir en ligne : https://cjcinema.org/

« L’amour c’est comme la vidéo, si on attend trop longtemps, on n’est jamais sûr d’être prêt. » Pour ce petit compte-rendu fragmentaire et subjectif, comme l’est toujours le regard sur un festival, je retiendrai cette invitation à la création, lancée à tout un chacun.e par Hervé Couergou, jeune artiste décédé du SIDA en 1994, et figure centrale d’un très beau film de Lionel Soukaz et Stéphane Gérard, Artistes en Zone Troublés. Le titre fait référence à l’AZT, traitement VIH, comme au désir d’Hervé Couergou de créer une association où des artistes séropositifs pourraient s’exprimer. Le film, fondé sur des images du Journal annales de Lionel Soukaz, a notamment été présenté cette année dans le cadre d’Exposé.es au Palais de Tokyo. « Même confidentiellement, créons pour rester vivant et politiquement poétique », cette phrase d’Hervé Couergou, résonne dans son temps, et dans le nôtre, dans nos esprits, dans nos situations quelles qu’elles soient. Ce film par sa diffusion témoigne aussi des barrières qui s’estompent entre art contemporain et cinéma et donc de l’importance d’un festival qui se consacre au cinéma expérimental.

Film de passage, Artistes en Zone Troublés est film d’archives, l’une des tendances de la sélection. Si le document est ici fragment d’histoires collectives, comme dans Humans and Subhumans du réalisateur ukrainien Oleksandr Stoianov, l’archive a également à voir avec la mémoire individuelle, l’enfance et l’adolescence qui charrient leur lot de douceurs et de traumatismes. Bye bye Now de Louise Bourque a une saveur mélancolique, les images anciennes révèlent leur matière incertaine et précieuse, tandis que My home, d’Azar Saiyar structure son développement circulaire autour d’une phrase « Une guêpe m’a piqué le doigt », la scène a eu lieu au jardin d’enfants et il semble que le temps se soit enroulé autour de l’évènement. L’archive a à voir avec le sépulcral. Dans Cénotaphe de Charles Cadic, il y a les vagues, les dunes, les clairs de lune, une proximité des images avec la peinture de paysages, celle d’Auguste Pointelin notamment, et ce sentiment du passé, développé ici avec finesse. De nombreux plans rappellent aussi d’autres films, leurs ambiances, quelque chose de Kubrick, d’Antonioni, de Pasolini, on ne sait pas si ce corps absent auquel on rend hommage n’est pas le cinéma lui-même, désormais réactivé sans narration, ni personnage.

Ce goût du passé, ce maniérisme vintage est brillamment manié dans le film en super 8 numérisé de Pierre Voland, Signal GPS perdu, où la lecture en ancien français de Lancelot ou le chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes se télescope avec une application de rencontres homosexuels avec géolocalisation. Et nous voici Lancelot moderne, perdant la tête à espérer l’apparition d’un amour, isolé dans les forêts neigeuses du Jura. Tiraillé sans cesse entre le grotesque et le sublime, Signal GPS perdu est une très belle découverte qui renvoie toute personne à sa solitude, et toute sexualité marginalisée en territoire à faible densité de population à la rareté des liens possibles, venant redoubler encore l’inhibition de notre héros à explorer l’existence en dehors de l’hétérosexualité. Our sap fills the mouths of hungry saints de A. Laurel. Lawrence donne à vivre une expérience singulière mêlant l’érotisme au mysticisme avec grâce, emporte le regard au rythme des matières qui se transforment, des respirations qui prennent corps. Fruits, viande, cavité, coulure, danse, souffle, morsure, dévoration, sacrifice tout s’enchaîne dans une schéma vampirique renouvelé par des corps dégenrés.

L’image comme matière qui se travaille, s’étire, se déforme sans cesse est un autre point d’entrée dans cette sélection exigeante. Beaucoup de films en 16 mm fonctionnent sur la matière des images, la transformation, l’épuisement, un montage qui caresse l’abstraction, comme Oxygen de Karel Doing, A quelle distance tombe la foudre ? d’Aurélie Percevault, Chiyo in blue, Qiyun in pink d’Erwan Tracol ou encore Beethoven on the beach d’Ewan Golder et Kate Beaugié. Mais ce travail plastique de l’image, s’il oscille bien souvent entre esthétique et métaphysique, est aussi « poétiquement politique » comme dans le film ,Moune Ô de Maxime Jean-Baptiste qui a récupéré des images liées au film d’Alain Galine Jean Galmot, aventurier, sorti en 1990 dans lequel jouait son père en tant que figurant. Maxime Jean-Baptiste a modifié la course des images, désarticulant le cortège d’un carnaval, et inséré par des cartons, sa colère brûlante contre l’extractivisme en Guyane et ses conséquences sur la vie des habitant.es. Parfois la dimension politique est imperceptible à l’écran et réside dans le processus de fabrication. Ainsi les images contemplatives de Flower rain, de Gao Wei sont liées aux questions écologiques puisqu’elles sont nées d’un protocole complexe mis au point par l’artiste, engageant la croissante des plantes et leur rapport à la lumière et témoigne encore de la puissance inventive de ce champ de la création.

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