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Richard Conte Danse avec les bêtes

Le renard et le dindon, tondo, acrylique sur toile, diam. 130 cm. 2017
Le renard et le dindon, tondo, acrylique sur toile, diam. 130 cm. 2017
L’amitié de l’homme et de la bête est le thème autour duquel Richard Conte peint de réjouissantes variations qui nous projettent dans un univers à la fois indifférencié et divers

Nous sommes des bipèdes nostalgiques d’un état dont nous avons perdu la mémoire et que seuls l’art ou le rêve nous font retrouver, un état encore antérieur aux époques les plus primitives de notre histoire, sans nom, car sans langage, fait d’apparitions et de fuites, de rythmes, de cris et de danses, dont on ne sait s’il était tragique ou joyeux, paradisiaque ou infernal – un état que la notion « d’état de nature » parvient mal à désigner, antérieur à la séparation de l’animal et de l’humain, puisque l’être humain est d’abord animal, et le reste. Mais ne confondons pas les animaux et les bêtes.

L’animal, la bête, le vivant : ces mots ne désignent pas une même réalité. Aristote pour qui l’histoire naturelle précède la métaphysique fait de l’Animal (zoon en grec) un genre qui englobe une pluralité d’espèces, dont l’être humain fait partie : contrairement aux végétaux qui croissent mais ne se meuvent pas, les animaux se déplacent - par reptation, en nageant dans les eaux, en volant dans les airs ou en marchant sur terre à quatre pattes ou à deux comme l’homme, le coq ou la poule. Par contre, la bête est l’inverse de l’humain : l’homme n’est ni ange ni bête, dit Pascal, mais qui veut faire l’ange fait la bête. Hors humanité, elle pousse l’homme à une transgression éthique qui peut le faire devenir inhumain.

Le vivant, qu’il soit sain ou malade, fait l’objet de la connaissance biologique. Notre vie nous apparente à tous les animaux quelles que soient les formes de vie qu’ils prennent - et c’est pourquoi ils transmettent des épidémies et que Richard Conte peint aussi la contagion. Depuis Darwin, l’homme n’est plus pensé comme séparé des autres espèces vivantes : il a des origines communes avec elles. La doctrine chrétienne de la création de l’homme et des animaux devenant obsolète, celle du péché originel se transforme en un enracinement dans une nature bestiale inhumaine. Toutes les formes de vie, dont de nombreuses ont disparu, comme le paisible dodo, ou sont en train de disparaître, ont été étudiées. Mais la connaissance du vivant ne laisse pas épuiser ce monde de la vie dont la diversité a toujours été un objet de la curiosité : il reste, encore et toujours, la part du rêve.

Richard Conte ne se contente pas d’apercevoir des animaux en les imageant dans les nuages, dans une anfractuosité de rocher, la forme d’une pierre ou d’un galet, ou encore dans des taches d’encre ou de couleurs : des formes animales surgissent de l’informe à notre insu, comme si les animaux même les plus sauvages nous étaient familiers. Sa peinture les fait exister : il les met en scène comme dans un spectacle, nous les montre formant des duos énigmatiques faisant cohabiter renard et dindon, pieuvre et requin, tigre et tortue, raie et crapaud, et bien d’autres encore, sans se préoccuper des échelles. Elle met en mouvement un devenir animal scindé en deux devenirs, chacun absolument singulier, unique, se rencontrant et s’accomplissant en résonance picturale l’un avec l’autre en ébauchant une incroyable danse des vivants. Elle invente parfois des formes de vie sans nom, d’étranges oiseaux, des figures monstrueuses, larvaires, sans visage mais au regard proche de celui d’un être humain, qui paraissent plus démoniaques que bestiales.

Au début du Traité de zoologie fantastique, Borges observe que nous avons tous vus d’abord des animaux en image, dessinés dans des livres, avant de les voir réellement. C’est cet irréel fondamentalement hors nature que retrouve Richard Conte. Il s’intéresse moins aux animaux que nous regardons qu’à ceux qui nous regardent. Pourquoi regardons-nous les animaux ? Parce qu’ils nous le rendent bien : ils nous regardent avec intérêt, crainte, pourquoi pas envie, et surtout avec curiosité. Dans Un homme parmi les loups, un film de 1983 de Carol Ballard sur un biologiste qui étudie l’alimentation des loups en Alaska, l’observateur devient observé : les loups sont extrêmement curieux de cet humain solitaire qui se familiarise bientôt avec eux comme le surnommé « danse avec les loups » est parvenu dans un autre film à apprivoiser le loup qui l’observe.

Dans les peintures de Richard Conte des animaux nous dévisagent comme pour nous inviter à venir vivre avec eux. Ils cessent d’être les objets d’une curiosité ou d’un savoir qui les classifie. Leur subjectivité nous en impose. Qu’est-ce qui pousse cet artiste à peindre des animaux avec constance ? Sans doute, la fascination qu’ils suscitent, qu’il désire faire partager : ils captent notre attention, ils nous séduisent, ils sont à la fois beaux et horribles, enchanteurs et dangereux, merveilleux et monstrueux – ils ont quelque chose de surréel, ils participent à nos rêves, prennent d’assaut notre imaginaire quelles que soient les cultures qui les instituent en symboles. Feuilleter ses volumineux carnets de dessins, c’est voir se dessiner des blasons qui formulent un totémisme d’aujourd’hui. L’animal-totem est vénéré comme protecteur, comme une divinité ou l’ancêtre d’un clan dans les cultures autochtones d’Amérique ou d’Afrique mais aussi d’Europe. Mais l’art peut échapper à tout déterminisme culturel : chaque artiste reste libre d’attribuer à un animal une valeur symbolique - c’est ce qu’a fait Louise Bourgeois avec l’araignée. Certains animaux deviennent pour Richard Conte des symboles, incarnations de la bestialité de la Guerre ou de la Peste, quand d’autres restent des présences énigmatiques, insensées - encore plus fascinantes par là-même.

Impossible d’évoquer les manières innombrables dont les animaux furent représentés en peinture. Mais l’on doit se demander pourquoi l’animal a été représenté bien avant la figure humaine, comme si, dès la préhistoire, il préfigurait l’anthropomorphisme. Dès les premières peintures pariétales, l’art, plutôt qu’exposer leur différence en les opposant, célèbre l’amitié de l’homme et de la bête qu’évoque Bataille dans Lascaux ou la Naissance de l’Art.

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++INFO++
Exposition Richard Conte Danse avec les bêtes Galerie GAZ (General art zone) 6 Rue Anatole France, 85100 Les Sables-d’Olonne du 23 juin au 15 septembre 2023  06 08 21 71 19

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