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Rémy Hysbergue, l’expérience actuelle de la peinture

Une exposition monographique à la galerie Richard, Paris

En parcourant l’exposition de la galerie Richard le visiteur est mis au contact avec divers composants matériels de la peinture : sur un fond textile particulier, un tissu de velours tendu sur un support bois, l’artiste a déposé par de larges coups de pinceaux et/ou de raclettes une matière picturale inégale. Durant la genèse de l’œuvre, celle-ci prend plusieurs consistances d’abord épaisse puis fluide, voire transparente, et pour finir aérienne puisque pulvérisée à l’aérographe ou à la bombe. Le dépôt de cette matière picturale se fait des gestes rapides, les résultats sont variés et comportent divers accidents processuels.

Voir en ligne : https://www.galerierichard.com

Chaque peinture semble spontanée même si elle repose sur les choix initiaux spécifiques : un format, vertical de taille moyenne, un subjectile à la texture particulière, la viscosité du médium pictural et bien sûr une gestuelle particulière (vitesse et pression) qui génère des effets originaux. Qu’il soit précisé tout de suite, bien que pour décrire cette peinture il soit nécessaire de parler de la gestuelle qui la caractérise, celle-ci ne se rattache pas à l’expressionnisme abstrait. Les faits plastiques sont bien là générés par l’artiste, mais produits en absence de subjectivité et d’implication personnelle de celui-ci.

Rémy Hysbergue joue de l’image de la peinture abstraite expressionniste dans le traitement des constituants picturaux, mais sans implication personnelle dans ses coups de pinceaux. Il y a pas de déconstruction de la peinture gestuelle abstraite mais un pas de côté donnant à voir l’écart de ces productions actuelles avec celles des peintres américains ou européens de l’après guerre. Ici le peintre ne renvoie pas à l’histoire de la peinture mais à l’avènement singulier de chacune de ses peintures.

Le dépôt irrégulier de la matière picturale épaisse nous attire. On s’approche, on regarde d’un côté puis l’autre : on se questionne sur la genèse des effets obtenus. Il reste parfois des lambeaux du médium pictural. On s’interroge : y a-t-il eu lieu, après les moments de dépôts de matière, d’autres actions comme des gestes de retrait ? Ou bien est ce l’emploi d’un cache provisoire qui a permis de laisser visibles de larges portions du subjectile, heureuses zones de repos « dans ce monde de bruts ». Le paradoxe du contact chez cet artiste est d’appeler à un toucher par la vue. Il met en avant, dans l’espace entre le support et le spectateur, des matières tactiles qui pourtant sont plus à découvrir par l’œil que par la main.

Les peintures de Rémy Hysbergue laissent voir certains gestes de leur genèse mais en cachent d’autres, permettant ainsi aux spectateurs d’émettre leurs propres suppositions. Chaque tableau a une histoire propre bien qu’il y ait une évidente parenté avec les autres œuvres de l’exposition.

Pour le spectateur il s’agit de se laisser prendre dans le dialogue des éléments qui font partie du monde de la peinture depuis longtemps mais aussi de mesurer leur implication dans cette nouvelle série de créations de l’artiste. L’emploi comme toile de fond de tissus aux qualités particulières (le velours ou le lurex) est un choix déterminant. Ces étendues installées préalablement à toute action traçante orientent chaque création du point de vue poïétique, c’est à dire autant dans les processus matériels d’élaboration de chaque œuvre que dans la pensée créative qui accompagne ceux-ci.

Quelles sont les implications des choix de ces textiles comme les supports ? Pour l’artiste d’abord et pour les spectateurs ensuite, cette couleur matière s’avère non traversable pour l’œil. Il n’y a rien derrière, pas possible de se projeter dans les arrières fonds. Dans une sorte de perspective inversée tous les gestes de dépôt de matière épaisse ou colorée viennent vers l’avant dans l’espace du spectateur.

Avec les moyens picturaux connus, le geste, la matière et la couleur, Rémy Hysbergue réussit à faire naître les images picturales invues. Pour chacune des œuvres ce qui est a examiner c’est la mise en action de la peinture elle-même. L’artiste parvient à donner une valeur iconique au médium lui-même. Dès lors il n’y a plus nécessité de recourir à quelque image ou signe repérable comme le « haricot » de Claude Viallat, les oves de Pierre Mabille ou les grilles de Peter Halley. Ce qui importe c’est le dialogue institué entre dans les recouvrements picturaux successifs. On est en face d’une série d’objets peinture avec des gestes semblables, jamais les mêmes mais toujours parents, installant un rapport plus ou moins conflictuel avec les gestes précédents. Toute l’habileté de l’artiste est de transformer les successions temporelles de gestes signes, ainsi que les évènements accidentels, en des compositions contrôlées et surprenantes. Chaque tableau devient pour le regardeur un objet à expérimenter différent du précédent mais appartenant au présent système élaboré par Rémy Hysbergue. Chacune de ces images laisse un libre choix au spectateur : il peut soit se laisse emporter par des phénomènes plastiques sans solliciter son imaginaire ou bien faire de ces peintures des supports pour ses propres interprétations.

La peinture de Rémy Hysbergue, comme les grandes réussites picturales, favorise d’abord "une vision dans laquelle celui qui voit devient conscient de sa propre vision comme acte" (Max Imdahl). Devant chacune des peintures de cet artiste le spectateur s’implique tout en prenant conscience du caractère extériorisant de l’expérience regard. Partant d’une expérience de contact avec les images et les matériaux de la peinture actuelle, cette série d’œuvres nous conduit à réfléchir sur la nature illusoire des espaces de représentation.

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++INFO++
Remy Hysbergue participe à une exposition collective à Issoudin, Musée des hospice Saint Roch jusqu’au 08 mai. Titre de l’expo :" Peinture : obsolescence déprogrammée Licence libres"

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