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Quand les gitans restent en mal d’images

L'anthropologue Eugène Pittard « Portraits de groupes de face et de profil réalisés dans la région de la Dobroudja, en Roumanie, vers 1899-1910 », négatifs sur verre, 13 × 18 cm
L’anthropologue Eugène Pittard « Portraits de groupes de face et de profil réalisés dans la région de la Dobroudja, en Roumanie, vers 1899-1910 », négatifs sur verre, 13 × 18 cm
Le Musée national de l’histoire de l’immigration, au Palais de la porte Dorée se propose d’étudier comment la photographie a contribué à mettre en place une image du peuple gitan qui ne soit pas que clichés. Intitulée « Mondes tsiganes, la fabrique des images : une histoire photographique, 1860-1980 », cette exposition célèbre la présence des communautés tsiganes, roms, manouches et gitanes à travers les deux siècles précédents.

Voir en ligne : www.histoire-immigration.fr

Ce sont trois commissaires qui s’attellent à cette remise en question supportée par plus de 800 photos. Historien, chercheur au CNRS et à l’École des hautes études en sciences sociales Ilsen About travaille sur l’histoire des politiques anti-tsiganes au XXe siècle. Adèle Sutre, docteure en géographie de l’École des hautes études en sciences sociales, étudie le rapport à l’espace des sociétés tsiganes, elle analyse leurs mobilités et les modalités d’ancrages territoriaux. Mathieu Pernot diplômé de l’École nationale supérieure de la photographie à Arles suit depuis 1995 une même famille tsigane, les Gorgan, dont il a documenté tous les membres. La deuxième partie de l’exposition apporte ce contrepoint contemporain.

Au XIXe siècle on commence à s’intéresser d’un point de vue anthropologique aux différents peuples du monde dont celui des Bohémiens. A la recherche de la catégorisation des individus et des types auxquels on souhaite les réduire le portrait judiciaire se met en place avec le protocole des prises de vues face/profil.

Photographier les Manouches, les Kalé et les Roms ou comme on les appelait plus traditionnellement les Romanichels, les Gitans et les Tsiganes n’a pas bien au contraire éliminé les préjugés qui s’attachent à ces populations. Bien que citoyens d’un pays , France ou autre, ils restent sans cesse perçus comme étrangers, le « peuple de la frontière », leur identité toujours liée à leur appartenance potentielle à une "nation errante".

On constate la persistance et la diffusion de certaines figures : la bohémienne, les diseuses de bonne aventure ou le montreur d’ours. Mais l’exposition s’intéresse aussi à différents métiers dont celui des chaudronniers, des vanniers, réparateurs de parapluies et rempailleurs de chaises, et forains. Ces images souvent prises en studio font l’objet de publication en cartes postales.

Durant la première guerre les nomades ne sont pas autorisés à circuler. Certains sont déjà parqués dans des camps. L’État leur impose des restrictions, des fichages et des expulsions. La seconde guerre mondiale n’épargne pas ces « gens du voyage ». Des communautés venant d’Autriche-Hongrie sont rassemblées en camps ou en dépôts surveillés. En France même devenus sédentaires ils sont internés et leur détention durera parfois au delà de 1945.

Le courant humaniste s’intéresse aux gitans pour en donner une image positive qui marque une certaine fascination n’excluant pas cependant les attendus. On trouve parmi ces auteurs François Kollar, Roger Schall ou Jacques Henri Lartigue. Un chapitre entier est consacré à Emile Savitry pour son amitié avec Django Reinhardt qu’il photographie en famille. On est heureux aussi trouver des images d’autres origines géographiques dont par exemple des tirages de Jack Delano sur les tsiganes du Maryland

L’intérêt de cette exposition est de mettre en avant des auteurs moins connus et des parcours de vie singuliers. Le belge Jan Yoors (1922-1977) rejoint à 12 ans un groupe de gitans dont il partage la vie jusqu’à la Seconde guerre mondiale et combat à leurs côtés dans la Résistance. Il poursuivra sa mise en valeur des communautés par l’image et grâce à la publication de deux ouvrages essentiels. Jacques Léonard (1909-1995) partage et illustre le quotidien des gitans de Barcelone. Matéo Maximoff (1917-1999) né d’un père rom russe et d’une mère manouche française mène aussi un travail de fond qui archive l’histoire de sa famille en images. Marcelle Vallet (1907-2000) s’intéresse à la famille Kostich, responsable d’un cirque et illustre la vie d’Alexandre Zanko patriarche rom.

Le contrepoint actuel du clan Gorgan documenté par Mathieu Pernot trouve ici une présentation ordonnée selon chacun des membres, dont les photographies noir et blanc et couleur mais aussi les agrandissements de photomaton sont installés en tableau qui ne respecte pas la chronologie. Les courtes et superbes séquences vidéo présentées dans les expositions d’Arles et de Toulon ont été ici reprises pour y ajouter des portraits des différents protagonistes. Cette volonté pédagogique correspond à la destination du lieu mais banalise un peu un propos très sensible.

Pour conclure on peut s’arrêter sur un cliché d’Erwin Blumenfeld. Titré « Notre dame de la détérioration » il s’accompagne de la légende suivante « Une mère tsigane photographiée aux Saintes Marie de la Mère (sic) le négatif s’est détérioré durant la guerre dans une cave de Montparnasse. » Cette image singulière nous rappelle que les originaux familiaux sont rares du fait des coutumes d’enterrement des membres de la communauté dont on brule la caravane et les objets personnels. Il est important d’avoir réussi à réunir autant de documents qui dressent l’archive vivante d’une communauté toujours en mal d’images.

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