Stéphane BLANQUET à l’Abbaye d’AUBERIVE
Voir en ligne : http://abbaye-auberive.com/accueil/
Rêves numériques
“Son univers artistique est issu des cultures des décennies passées : hard rock, tatouage, rap, punk”, écrit Jean-Claude Volot, le collectionneur passionné qui a initié cette exposition à Auberive avec sa fille Alexia. Il faudrait ajouter les films et mangas japonais et bien d’autres univers graphiques qui passionnent cet artiste, devenu éditeur très jeune. Mais sa marginalité artistique sort des limites usuelles par la monumentalité de ses réalisations. Ces formes au graphisme psychédélique se déploient dans des compositions complexes et une technologie savante les transpose dans de grandes tapisseries réalisées informatiquement.
Ce renouveau surprenant de cette technique très ancienne fonctionne bien, car Blanquet a joué avec le pointillisme graphique en reprenant à sa manière le point textile, tout en conservant la grandeur des formats de cette forme d’expression. La série des 40 tapisseries – les drames satyriques- qui lui ont été inspirées des Désastres de la guerre de Goya évoquent de manière saisissante le chaos du monde actuel, car la guerre moderne est encore bien plus destructrice.
Cette technique se retrouve aussi dans des nombreuses sérigraphies, noir et blanc, tricolores bleu-blanc-rouge ; avec cet art du multiple (puisque la plupart des oeuvres qui sont réalisées sur ce mode sont plurielles) Blanquet propose d’entrer dans des univers saturés de formes au sein d’espaces visionnaires, fantastiques, peuplés de fleurs, d’insectes ou d’animaux étranges, et parfois surréalistes mélangeant images réalistes et fantasmes… On retrouve dans tous ces dessins prolifiques et proliférants ce qu’on nomme une horror vacui : chaque espace est empli, saturé par un grouillement de détails organiques qui se superposent, où apparaissent ça et là des corps parfois mutilés. La vision en est alors pertubée par une masse d’informations tellement chargée que le propos de l’artiste devient alors moins narratif que décoratif.
Inventivités plurielles
Blanquet, que les trouvailles optiques et les artifices, les effets visuels proches du théâtre et de la magie, inspirent, a aussi réalisé spécialement pour cette exposition des installations mécaniques (on découvre, par exemple, un porte-bouteille duchampien utilisé dans une installation composite montée sur chariot, incluant des platines pour la sonorisation) ainsi que des sculptures, des installations complexes utilisant des miroirs sans tain qui montrent le savoir-faire multiple de cet artiste.
Le clou de l’exposition est une très grande installation, qui a été animée à l’aide de la Compagnie Royal de Luxe, où l’on découvre une figure métallique dans un univers sombre de cages à la Piranèse symbolisant la prison et le jugement. Elle s’intitule Le Tribunal Insoluble. Est-ce pour rappeler que l’abbaye d’Auberive fut en son temps une prison…
Blanquet est aussi fasciné par la 3D, les jeux optiques sur des lentilles qui donnent naissance à des oeuvres fascinantes, y compris en tapisseries anaglyphes… un procédé qui permet aux spectateurs de jouer avec la vision en relief et de rester ébahis devant ces dessins entremêlés, à la limite de l’indistinct, où des formes se détachent alternativement. Car il y a quelque chose de ludique, une verve créative qui emporte l’adhésion. De simples pantins de bois articulés et peints en noir deviennent des drôles de créatures fantastiques. Les visages et les masques deviennent indiscernables. La noirceur trash parfois présente devient un thème gothique amusant, sans véritable cruauté. Ce dessinateur hors pair s’est plu à fabriquer des univers insolites et festifs dans lequel on pénètre progressivement pour les découvrir comme dans un train fantôme. C’est d’ailleurs un train fantôme qu’il avait installé au MAC VAL en 2009.