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Ça, Victor Burgin

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Artiste et théoricien de référence, Victor Burgin (Sheffield, 1941) est l’un des initiateurs de l’art conceptuel à la fin des années 1960. Extrêmement riche, sa carrière se caractérise par une recherche plastique et théorique portant sur l’analyse de l’image en tant que source de récits. Depuis le début des années 1970, ses pièces associent image fixe - puis en mouvement - et texte.

Présentée au Jeu de Paume de Paris, Ça est une exposition monographique retraçant l’évolution de la démarche de l’artiste au cours des 50 dernières années. Avec cinq salles à disposition, face à l’impossibilité de proposer une rétrospective exhaustive, la commissaire Pia Viewing et l’artiste ont sélectionné un nombre restreint d’œuvres emblématiques. Le corpus ainsi constitué se veut représentatif de la production plastique de Burgin. Il rend compte de l’évolution de ses préoccupations théoriques, ainsi que des choix formels opérés afin d’interroger une société en changement constant.

L’exposition prend comme point de départ les premières associations de photographies et textes que Burgin réalise au début des années 1970 (par exemple, Performative/Narrative, 1971). Elle permet de suivre le chemin qui le mène à adopter les codes de la street photography (US 77, 1977), puis à réaliser des mises en scène (Olympia, 1982 ; Gradiva 1982 ; Portia 1984) pour ensuite se consacrer à l’image en mouvement (comme dans Solito Posto, 2008) et, pour terminer, à celle de synthèse (c’est le cas notamment de A place to read, 2010, et d’Adaptation, 2023, produite spécialement pour l’exposition Ça).

Un éventail technique et formel que l’artiste met à profit dans la construction de contre-récits qui rejouent, en les déconstruisant, les codes de l’image contemporaine. Il propose ainsi des combinaisons de textes et images sur lesquels les visiteurs sont invités à s’attarder et revenir à plusieurs reprises. Leur finalité est d’inciter à la réflexion, faire émerger des associations d’idées inattendues et susciter une prise de conscience critique.

En parcourant les salles et en découvrant des productions d’époques différentes, il est également possible d’apprécier les changements qui s’opèrent au sein des textes. Loin d’être conçus tel des légendes, ces derniers sont à envisager en tant que contrepoints invitant les visiteurs à élargir leurs horizons interprétatifs. Ils prennent d’abord une forme discursive, puis se raccourcissent, pour devenir enfin des haïku accompagnant des séries de tirages ou rythmant des séquences vidéos. Pour leur rédaction, ainsi que pour concevoir la mise en relation avec les images, l’artiste s’appuie d’abord sur la pensée de Barthes, puis, à partir du milieu des années 1970, sur les apports de la psychanalyse, et notamment de Freud et Lacan.

Si la démarche de Burgin est en constant renouvellement, un fil rouge semble se dessiner : l’analyse de l’image en tant que vecteur de récits.
C’est à travers ce prisme que l’artiste s’intéresse aux thèmes de la lutte de classe, du genre et de l’évolution des sociétés néolibérales.

Présentée au fond de la troisième salle, l’œuvre textuelle Any Moment (1970) est alors proposée tel un “artist statement”. Par ses instructions, elle rappelle ainsi le dispositif régissant le travail de Burgin, à savoir l’association de mémoire - notamment visuelle - et réalité quotidienne (le titre Ça fait notamment référence à ce que l’on voit, à l’objet de notre expérience) en vue de l’émergence de nouvelles images mentales. Celles-ci sont envisagées telles des narrations alternatives à celles proposées par notre société. Leur but est d’éveiller la conscience du regardeur à qui l’artiste demande de jouer un rôle actif dans la construction du sens de l’œuvre.

En apparence simple, la scénographie reflète la volonté de dégager les axes de la recherche artistique de Burgin. Elle permet de suivre l’évolution chronologique de son travail, tout en instaurant un dialogue entre pièces de périodes différentes. Ainsi, dans chaque salle cohabitent tirages argentiques encadrés (datant d’avant les années 2000) et productions plus récentes prenant la forme de boucles vidéos ou de tirages numériques d’images de synthèse. La mise en espace des œuvres fait par ailleurs écho aux principes à partir desquels se construit le propos artistique et théorique de Victor Burgin. La rencontre avec l’œuvre a alors lieu dans un cadre propice à la réflexion. Un environnement épuré, où les pièces sont présentées espacées entre elles et selon des schémas d’accrochage classiques - souvent linéaires - prédéterminés par l’artiste.

Cela permet d’appréhender chaque travail séparément, presque en immersion, en évitant toute pollution visuelle. L’artiste a par ailleurs demandé à ce qu’aucun texte explicatif ne soit accroché au mur. Seuls les titres sont mentionnés, imprimés sur des cartels souvent très éloignés des cadres.

En conclusion, Ça se signale par la clarté avec laquelle elle permet de suivre le chemin parcouru par l’artiste. Elle se caractérise également par la continuité logique qui relie propos artistique, réflexion théorique et déploiement des pièces dans l’espace. Cela a mené le Jeu de Paume à s’autoriser une entorse à sa politique de médiation, notamment par rapport à l’exclusion de tout cartel explicatif. Si ce choix peut paraître étonnant, notamment à une époque où l’accessibilité semble gagner une place centrale dans le débat en matière de politiques culturelles, il se justifie ici par la cohérence et l’efficacité du cadre conceptuel élaboré au fil des décennies par Burgin.

Enfin, on mérite de signaler qu’un ouvrage bilingue (anglais/français) accompagne le projet - dont il emprunte le titre Ça (That dans la version anglaise) - et qu’une autre exposition monographique consacrée à Victor Burgin - intitulée Place(s) - se déroule en parallèle au Centre Photographique d’Île-de-France. Complémentaire à celle du Jeu de Paume, elle comporte des œuvres réalisées entre 1976 et 1984, une période charnière où l’artiste découvre la psychanalyse et adopte l’esthétique de la street photography. Elle rend également compte d’une partie de la pratique de Burgin datant du milieu des années 1970 qui n’a pas trouvé sa place au Jeu de Paume, à savoir le réappropriation - et le détournement critique - d’images et de codes textuels issus du monde de la publicité.

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++INFO++

Exposition Ça de Victor Burgin 10 octobre 2023 - 28 janvier 2024 Jeu de Paume, Paris Commissariat de Pia Viewing

Exposition Ça de Victor Burgin 10 octobre 2023 - 28 janvier 2024 Jeu de Paume, Paris Commissariat de Pia Viewing

Burgin, Victor, Viewing, Pia, "Ça (That)" Manuella Editions, 2023 Prix du livre 45 euros. ISBN : 9782490505586

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