Notes pour une pratique à haute sensibilité de la photographie

A côté d‘essais structurés comme celui sur Robert Frank, son premier journal de travail a été publié en 1999, depuis 2012 Filigranes est devenu son éditeur régulier, quatre ouvrages sont ainsi sortis , l‘avant-dernier « L’intuition photographique. Notes 2016-2020 » marque une rupture du fait d’un dernier ensemble menant un émouvant travail de deuil suite à la perte de sa femme Laura.

Le présent ouvrage constitue un retour à la primauté de la création comme source de vie et de consolation. Il autorise cependant une lecture flottante, en picorant ses courtes impressions visuelles instantanées résultant d’une observation poétique du réel, en partageant la justesse de ses remarques d’auto-définition de sa pratique quotidienne de photographe, tout en appréciant sa large culture de la création artistique. L’actualité médiatique y ajoute des échos toujours critiques de la transmission des informations distanciées sur la guerre en Ukraine.

L‘image est sans cesse présente dans ce livre sous différentes occurrences, dans ses déambulations , Leica en main, Arnaud Claass continue les notations de photographies mentales dont il trouve une formulation la plus resserrée, avec l‘efficacité du haïku.

Il décline encore une fois son appartenance à un courant d abord actif aux USA et qui a trouvé aussi ses variantes européennes, la straight photography . Reprenant la formulation de Marcel Duchamp pour une de ses oeuvres les plus célèbres il complète ainsi son panthéon iconique avec cet aphorisme « Le monde célibataire mis à nu par ses photographes même. » Les auteurs de la photographie directe sur lesquels il revient de façon plus théorique que critique pour une relecture tonique sont ici Joseph Sudek, Ansel Adams, Bill Brandt et parmi les contemporains Alec Soth mais aussi Paul Graham ou Wolfgang Tillmanns.

A partir de cet héritage il continue de questionner sans cesse sa propre pratique. Il commente ainsi : « Je photographie de manière désordonnée le désordre du monde, puis je tente de parfaire ce désordre en faisant voisiner les images de façon pacifique ou belliqueuse. » Il recommande « Se considérer non comme un « artiste » mais comme un ingénieur en émotions visuelles devant les choses. » précisant un peu plus loin « spécialisation étude des percepts. » Il se tient à distance dune activité top intellectuelle : « Ne médite pas en photographiant. Constate tes images comme les fruits de quelque chose qui a médité en toi. »

Il remet en question le statut du document : « Il faut en revenir sans cesse à la remarque de Charles Traub : toute photographie directe est le document de quelque chose, quelle soit réputée « documentaire » ou non. ». Il en adapte les conclusions : « Mon usage de la photographie documente ce qui en quelque sorte, désorganise ma mémoire ( et non seulement ce dont je voudrais me souvenir). »

Toujours militant il déclame sa passion pour les conduites photographiques et artistiques sans projet, sans programme, dont il excepte ceux qui se laissent déborder par leur projet comme Claire Morgan ; ses installations poétiques et ses dessins ou un peintre comme Eugène Leroy dont il ne peut qu’apprécier une telle citation "Peindre : c’est restituer la trace, le résidu de l’émotion du début. ».