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Norio Imai, l’esprit frais

Norio Imai fut le plus jeune des artistes du groupe Gutai. Né en 1946 à Osaka, il adhère à 19 ans au célèbre groupe d’avant garde japonais. Cet ensemble de plasticiens, actif entre 1955 et 1972, regroupe les artistes novateurs à la recherche d’une salvatrice liberté créative après le traumatisme de la défaite de 1945. La plupart avaient de l’expérience et étaient informés sur les pratiques artistiques antérieures comme le surréalisme, des abstractions gestuelles (Action Painting), le Dadaïsme et l’art de la performance.

Voir en ligne : www.galerierichard.com/

Ils cherchent, dans tous les cas, à aller encore plus loin. Ils considèrent qu’il n’y a pas lieu de se donner des limites dans les actes créateurs, ainsi que dans l’emploi des techniques. Ils choisissent d’utiliser toutes sortes de matériaux : papier, fumée, boue, vinyle, ballons gonflables, etc. Leurs pratiques montrent au public japonais la diversité des modes de création qui rompent avec les règles des pratiques traditionnelles.

La galerie Jean Luc et Takako Richard (Paris) a consacré deux expositions successives à Norio Imai afin de présenter la continuité et la diversité de son travail. La première exposition (4 juillet - 27 septembre 2015) se composait d’œuvres réalisées en 2008-2009 de la série Shadows of Memory. Dans le présent accrochage, sous l’intitulé White Event (17 octobre - 28 novembre 2015), ont été réunies des pièces historiques initialement créées entre 1964 et 1967, lors de la période active du groupe Gutai. Cette exposition montre combien Norio Imai, autour de ses 20 ans, avait déjà installé les bases de son art : un espace blanc à la fois pictural et sculptural. Le jeune artiste a compris combien il pouvait bénéficier de la l’espace de liberté entrouvert par le groupe Gutai. Ses créations échappent aux définitions : elles s’accrochent au mur comme des peintures, pourtant les volumes qui les caractérisent viennent en avant tels des hauts reliefs. Peintures sans doute mais sans couleurs et sans traces de pinceaux : ces monochromes blancs installés sur des cimaises, elles mêmes traditionnellement blanches, ne se distinguent de celles-ci que par les ombres dues aux éclairages de la salle.

Dans les pièces les plus récentes, exposées lors de la précédente exposition, de mystérieux objets se cachaient derrière la toile tendue qui les recouvrait. Malgré le déplacement latéral du regardeur l’identification des protubérances centrales cachées sous la toile restait problématique. On se rendait cependant compte que ces petits éléments cachés à la vue devaient appartenir à la vie quotidienne. Les formes avaient une présence ; ce qui manquait c’était les mots pour les identifier. De cette incertitude qui se répétait d’œuvre en œuvre se dégageait une certaine poésie : on pourrait évoquer la mise en place d’un monde flottant contemporain. Devant ces créations blanches parfaitement tendues de bord à bord le visiteur ne savait s’il lui fallait rester dans la perception de la simple réalité — voir ce que l’on voit — ou basculer dans l’imaginaire.

La seconde exposition regroupe des reprises de quelques œuvres anciennes. La parenté avec les créations récentes est certaine. L’artiste a eu, dans ce type de production, une constance tant dans les formes que pour les concepts. Quelques différences peuvent être remarquées. L’objet dissimulé sous les toiles tendues était antérieurement un objet simple, comme un cylindre ou une règle, dont l’action était formelle sans susciter d’identification. Dans cette série de créations les clous tapissiers sont intégrés dans la surface de l’œuvre. Leur tracé reprend la plupart du temps, à quelque distance, les contours des objets cachés assumant ainsi un fonction technique, la mise en tension, mais assumant aussi un rôle esthétique. Non seulement leur succession déploie des lignes élégantes mais, de plus, en s’approchant on remarque la singularité de la tête ovale de ces clous forgés. Dans certains cas la ligne prend son autonomie influençant ainsi la dénomination. C’est le cas de la petite toile (46x38x8 cm) où les semailles forment une figure quadrilobée et qui a été titrée : A Cloud II, 1964/2012. Deux toiles, l’une récente Expansion, 2009, et l’autre ancienne Dots and Circle, 1964-2012, proposent une figure semblable : cercle avançant au centre d’un carré. Cette composition, assez récurrente chez les artistes abstraits japonais contemporains, a sans doute une portée symbolique dans la mesure où elle réinterprète le cercle rouge du drapeau national. Entre le réel et l’imaginaire, le symbole parvient à se glisser.

Les œuvres les plus impressionnantes de cette exposition sont celles élaborées à partir d’un moule de plastique sur lequel est tendue une toile de coton peint. Le renflement progressif évoque une forme biologique. Les configurations avec le double renflement (White Ceremony-Opposing Corner, 1967/2013) ou un châssis de forme triangulaire (White Ceremony-90 Degrees, 1967/2013) renforcent les suggestions corporelles féminines. Si de loin on peut penser à un sein, un rond noir aperçu au sommet de la poussée intrigue. En s’approchant ce cercle s’avère être un vide dans lequel le regard avide peut plonger sans rien découvrir. En revanche en tournant autour de l’œuvre l’œil du visiteur se fait nécessairement tactile pour apprécier le glissement sensuel des ombres.

Un certain parallélisme peut être établi entre ces créations de Norio Imai et les Achromes de Piero Manzoni. Ils ont tous deux choisi de produire des peintures-sculptures dépourvues de couleurs mais ont tous les deux, à côté de ces monochromes, travaillé d’autres formes de créations. De façon intéressante, dans les années 1970 et 1980, Imai a exploré les possibilités du travail vidéo avec incorporation de photos. Il a aussi réalisé des performances. Dans la présente exposition à la galerie Richard une seule œuvre présente une approche différente. Intitulée White Event IV, 1966, il s’agit d’une création cinétique simple dans laquelle à intervalles réguliers des boules caoutchoutées, actionnées par un mécanisme motorisé, viennent enfoncer légèrement l’écran blanc frontal. Cette création s’inscrit dans l‘Art cinétique des années 1960-1970. Pontus Hulten a mis en évidence l’écart idéologique creusé entre ces créations post-war et celles du début du siècle. Cette œuvre, comme une partie des productions de cette époque, réinvestit les recherches des aînés développant plus l’aspect ludique que la dimension révolutionnaire.

Au travers de ces deux séries d’œuvres d’époques différentes Norio Imai nous montre qu’il a, comme le demandait Jiro Yoshihara dans le Manifeste Gutai de 1956, gardé « l’esprit frais ». Il maintient un subtil équilibre entre la présence matérielle des objets créés et la puissance spirituelle que le regardeur ressent lors de la contemplation de cet art.

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