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Nicéphore + à Clermont Ferrand un festival radical investi au féminin pluriel

Frédérique Félix-Faure
Frédérique Félix-Faure
Le festival Nicéphore + tient à Clermont Ferrand sa 16e biennale photographique sur le thème du « Corps fragmenté ». Elle investit 9 lieux dans la ville pour y présenter 18 expositions. Patrick Ehme le directeur artistique a sélectionné 17 artistes dont 4 hommes et 13 femmes qui développent des pratiques et esthétiques diverses, mais toutes d’une grande force.

Voir en ligne : https://www.festivalphoto-nicephore.com

On est frappé par l’intelligence du choix des lieux en rapport aux oeuvres présentées. L’ensemble des expositions bénéficie d’une vraie qualité d’accrochage et de scénographie sous la direction d’Anne Eléonore Gagnon. Parmi ces lieux se détache pour ses salles historiques l’Hôtel Fontfreyde, centre photographique lié au réseau Diagonal dirigé par François Nicolas l’Hardy.

Si la plupart des photographes invité(e)s sont français, quelques un(e)s régionaux , on apprécie d’y trouver aussi des présences européennes, espagnole, polonaise, hollandaise, suisse, anglaise, biélorusse, toutes de qualité.

Mis en fragment le corps peut se singulariser jusqu’à devenir un corps étrange . Louis Blanc à l’aide d’un objectif grand angle et en noir et blanc réalise des auto mises en scène qui font subir à ses membres des transformations spectaculaires. Dans des montages numériques en couleurs Julien Vallon opère une semblable mise en pièce dans une esthétique post-surréaliste très convaincante par ses montages sculpturaux. Jouant des effets de perspective dans des vues pas toujours frontales l’artiste britannique Chloé Rosser crée des corps incomplets et paradoxaux dont certains font penser aux déformations des des auto-portraits nus de John Coplans.

Poussant cette logique déstructurante à ses extrêmes conséquences plusieurs autres exposants créent des corps objets . Cela peut prendre la forme développée au sol de la performance de la biélorusse Arina Essipowitch qui plie, déploie et déplie deux grandes images découpés en carrés solidaires. Plus proche d’un univers publicitaire les deux artistes espagnoles du groupe Red Rubber Road apportent une critique qui ne manque pas d’humour du corps en fusion avec les objets du quotidien, celui du bureau notamment. Avec l’une des plus belles présentations scénographie deux artistes masculins convolent peinture et sculpture dans l’imposante Chapelle de l’Ancien Hôpital Général. Georges Dumas dans ses montages numériques bi-dimensionnels procède à une forme de pétrification qui joue d’ambiguïtés picturales ou sculpturales. Brno Del Zou quant à lui franchit le pas de la 3e dimension pour concrétiser d’imposantes Photosculptures qui ré-architecturent visages et corps via un post-cubisme très contemporain.

La fragmentation peut servir aussi à magnifier un corps mémoriel . Véronique Evrard choisit d’abord dans sa propre archive des images anciennes de personnages dont elle produit un premier tirage grâce à un film graphique. Une fois reproduite toujours en noir et blanc installée et altérée dans le quotidien cette image constitue un faux souvenir qui matérialise une mémoire poétique. L’une des oeuvres les plus frappantes est celle réalisée en couleurs numériques par la polonaise Weronika Gesika. Ses personnages dérivés de la « vie heureuse » fantasme des années 1950sont victimes d’une comédie sociale frelatée. Pour cette critique ne manquant pas d’un humour noir, différentes formes de masques sont mis à contribution.Tandis que les corps subissent la contamination des matériaux de construction des maisons modèles, lepuzzle social idéalisé tombe en pièces.

Au féminin cette fragmentation peut tenter de revendiquer quand même un corps du désir. Elisabeth Prouvost qui a publié de nombreux livres en noir et blanc passe avec sa série Corpus delicti à une couleur flamboyante. Le processus actif du flou produit en studio arrive à une réalisation baroque renforcée ici par un croche en tableau autour d’un tirage de grand format semblant redistribué par les plus petits tirages qui l’encadrent. La suissesse Katrin Freisager au plus près des corps de ses modèles suscite des mises en scène ambigües proches de la danse contemporaine. Les rapports intercorporels intriqués sont ils de l’ordre de la lutte, du pas de deux ou de l’étreinte ? Les éléments vestimentaires très présents ne nous aident pas à trancher.

Toujours au féminin pluriel ces fragments peuvent profiler des corps résiliants .C’est le propos de Frédérique Félix-Faure avec sa série Il ne neige plus. Ses petits formats révèlent une intimité d’empathie avec ses modèles. Elle se dramatise dans la frise présentée à l’Hôtel Fondreyd. Elle y mêle corps adolescents et animaux pour créer chez le spectateur le sentiment d’une sourde violence que la recherche d’une beauté iconique peut réparer. Lucie Hosdienne Darra affirme dans Looking for my own body sa volonté post-traumatique. Elle utilise pour cela des autoportraits postérisés qu’une seconde image encadrée vient contredire avec une nouvelle énergie. Des phrases graphitées au mur reformulent ses interrogations vitales.

La question si épineuse socialement d’ un corps genré est traitée avec force et subtilité par trois autres artistes femmes. Marielsa Nielsen l’une des photographes régionales opère avec ses modèles masculins et féminins une mise à distance de leur identité sexuelle à l’aide de voiles colorés.Le résultat aussi sensuel qu’harmonieux produit une sorte de chorégraphie ralentie au rythme de ses diptyques et triptyques. Elle est l’invitée de Raymond Viallon de la galerie Vrais Rêves qui convoque aussi les oeuvres de la hollandaise Marlo Broekmans produites dans les années 1990 et 2000 et que nous retrouvons toujours aussi pertinentes. Ses superpositions à la prise de vue comme comme la délicatesse de ses tirages argentiques révèlent un corps qui a su affirmer très tôt sa différence genre , son pouvoir de séduction et sa puissance sexuelle.

L’une des révélations pour moi de ce festival est la jeune future A.n. Ce sont de corps masculins mêlés à des autoportraits qu’elle ausculte comme des viandes. De grands tirages bi-faces sont suspendus avec des crocs à boucher. Au mur d’autres tirages plus petits sont coincés dans les angles de cette ancienne droguerie. Un-carné le jeu de mot du titre de sa série correspond bien à la vison violente et originale qu’elle met en oeuvre.

A une époque où le corps de la femme est mis au plus mal, contraint, battu, exécuté en Iran, en Afghanistan mais aussi dans la mise en question de l’avortement, partagée par la néo-fasciste italienne mais aussi par les états d’extrême droite trumpiens un tel festival est salutaire qui réunit autant de propositions investies, incarnées pour la défense d’un corps libre et créateur.

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