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Matti Kallionen "Intelligence"

Milliken Gallery, Stockholm

Kallioinen 1
Kallioinen 1
D’une exposition titrée Intelligence on pourrait s’attendre à quelque chose de clair et net, mais ici l’obscurité est par moment presque absolue dans l’une des pièces de la galerie. De plus elle est enfumée. Dans l’autre pièce, une vidéo de science-fiction à petit budget est projetée à même le mur. Les images étant très grandes, on ne risque pas que la bouche du tuyau de la machine à fumée passe inaperçue. Mais il s’agit sans doute moins de mettre l’amateurisme en valeur que de manifester la sincérité à l’égard de ces thèmes : ne pas faire de la fiction, mais rendre évidente la réalité de la science-fiction, c’est-à-dire son désir, son espoir, bref sa vitalité.

Voir en ligne : http://www.mattikallioinen.com/

Par la voie du transhumanisme et de l’intelligence artificielle, une autre vie pourrait être atteinte. On dirait que le film Tranhuman Circuit/Turing Battle, à travers l’influence de Blade runner et des « monster movies » japonais, présenterait une nouvelle version de la pensée nietzschéenne au sujet de la naissance de l’art dans les rites dionysiaques. Quelques êtres vivants, bien anthropomorphes mais sans autre organe des sens que leur peau (couleur argent), s’entrebranchent (littéralement) par des fils, peau à peau, de sorte à constituer une carte de circuits imprimés. À partir de cette collectivité, ce n’est pas Dionysos qu’ils font apparaître, mais une sorte de sculpture vivante (au moins, ils bougent leurs limbes), gonflables et à formes vaguement biomorphes, vaguement architecturales. Ces sculptures se lancent dans une guerre à la crème à raser, guerre qui peu à peu se change en une action tendre de sécrétion. La crème à raser qui tout à l’heure était meurtrière non seulement sauve le blessé, mais donne encore naissance à un autre être. Pour résumer : le groupe initial se transforme en deux êtres d’une autre espèce, qui produisent un seul être vivant : l’œuvre qui se retrouve dans l’autre pièce peut-être.

La deuxième œuvre est une installation ”mixed media”. Des sculptures gonflables en tissu noir, programmées pour bouger sur place. À la place des yeux, ils ont des petites lampes qui émettent des rayons de lumière colorée comme autant de signaux sans signification. Il y a aussi une bande sonore de ”space age fantasy pop”, également signée Kallionen. C’est un spectacle qui dure à peu près un quart d’heure. Le final en est l’érection de la plus grande sculpture, un événement à comprendre comme une naissance. Or, ce n’est pas la narration qui est extraordinaire, mais l’expérience d’errer– sans but et sans orientation – dans ce paysage. L’impression générale est celle d’être immergé dans d’une forêt de conte conquis par une population extra terrestre des années quatre-vingt.

Kallionen a dit vouloir montrer que le concept de vie est « impressionniste », c’est-à-dire que ce concept articule certaines séries d’impressions, pas une substance qui soit déterminée. Ce qui est intéressant dans cette recherche est la part que Kallionen donne à la tendresse, ou à la séduction, bref à l’émotion provoquée par ces séries, mais aussi de laquelle ces séries dépendent pour être reconnues comme telles. Si l’on s’en tient à l’installation sans cette tendresse, on n’a qu’une experience intensive d’un lieu bizarre où les corps émettent des signes que l’on ne sait pas lire. C’est donc un peu effrayant et décevant, puisque inévitablement on va chercher la vie auprès des formes les plus zoologique : ces petits chevaux.. Si Kallionen avait voulu produire une vie fictive, les chevaux auraient bien été les formes privilégiées d’un tel travail. Mais cela ne se passe pas là.

C’est par contre depuis l’installation intégrale en tant que milieu que l’on commence à développer une confiance. Et, du coup, les grands corps aux formes non reconnaissables sont éprouvés comme étant pourvus de vie, comme s’ils vivaient, mais tout doucement, là, juste à côté de nous. Pas d’abondance de vitalité ou d’action, mais il y a quand même tant de formes de vie encore plus éloignées de la nôtre. Les signaux lumineux commencent à ressembler aux signes – ils ne signifient peut-être pas grande chose, mais au moins rien d’hostile et ils sont quand même des signes de vie. C’est l’heure exquise de cette exposition – je me suis dit que ce doit être l’expérience d’un chiot qui vient d’arriver chez ses nouveaux propriétaires. Ce mélange de peur et de confiance, d’être à la fois abandonné et sous l’influence d’une force d’attraction. Ainsi opère la séduction de cette exposition, par un jeu de distance et d’intimité mentale.

Si Kallionen a raison et que cette expérience de vie soit un produit impressionniste, un jeu des signes entre les peaux, on comprend peut-être mieux pourquoi il importe que les sculptures soient vides. La naissance d’une nouvelle vie se fait à la surface, par la relation de deux peaux. Au-delà de la peau, il n’y a pas de substance, il n’y a rien. Que le vide. Donc, d’un côté, on a les relations substantialisées dans les sentiments, l’amour, la tendresse etc ; de l’autre, on a le vide, l’immense espace d’une science-fiction. Les sentiments sont les corpuscules d’un univers vide, et ils existent entre les peaux tels des tissus d’affections et de sentiments. Le reste est égal à l’espace intersidéral. Même dans ton corps.

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