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L’entre-deux de Markus Raetz

Markus Raetz

Le Carré d’Art de Nîmes a choisi de présenter les œuvres de Markus Raetz dont l’œuvre, d’une grande cohérence, construite dès le début des années 60 constitue une réflexion forte et importante sur le devenir des choses. L’artiste suisse apporte également une contribution significative à l’exploration du fixe et de l’animé, plaçant le spectateur dans la position de l’observateur, du voyeur, du découvreur. Un prétexte pour revenir sur une œuvre importante.

Trois branches d’arbres, idéalement disposées, celle du milieu se fendant en deux dessinant ainsi un triangle, forment de belles courbes féminines (Eva, 1970). Le buste d’une charmante jeune fille au cou de cygne se transforme en l’espace de quelques pas en solide colonne phallique (Brustbild). Quelques feuilles d’Eucalyptus, comme des larmes, vues d’un point unique, forme un visage lorsque le vent et les courants d’air ne viennent le déformer (Köpfe, 1982-1993).

Former, déformer, transformer, l’art de Markus Raetz est un art de la métamorphose, une réflexion sur le « devant-être » des choses, mais aussi sur ce moment si important de l’entre-deux pendant lequel une forme n’a pas encore les qualités qu’on attend d’elle.

Des indices, par-ci et par-là, apparaissent, toujours plus nombreux, faisant bientôt apparaître l’objet ou son opposé, car l’artiste-magicien aime démontrer qu’une forme peut contenir son contraire. Ainsi sont énoncés le pour et le contre, le tout et le rien où la finalité n’est rien par rapport à ce va-et-vient entre deux états opposés. Si vérité il y a, c’est bien là qu’elle doit se trouver.

En effectuant quelques pas, ou parfois par le reflet d’un miroir, Ceci devient Cela (1992-1993), Oui devient Non (2000), Tout Rien (1996), une tête se renverse (Silhouetten et Kopf II, 1992) et le verre devient bouteille (Gross und Klein, 1992-1993), s’inverse à nouveau si l’on continue de tourner autour de l’œuvre. À ce jeu-là, la silhouette au chapeau si célèbre de Joseph Beuys se transforme en lièvre (Metamorphose II, 1991-1992) et évoque une performance célèbre de l’artiste allemand.

(Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort, performance effectuée à Dusseldorf le 26 novembre 1965).

Cette œuvre de Raetz tient, sans prétention, un discours sur l’art. Regarder Beuys se transformer en lièvre, tourner autour de cette œuvre, observer les choses se défaire et se reconstruire, vivre ce moment de l’indécision, c’est se replonger dans la pensée de l’artiste allemand et sa fascination pour le monde animal, pour la meute et son organisation, pour l’instinct et contre le rationnel.

La qualité illusionniste de l’artiste est un fait, mais ce qui en définitive retient notre attention est cette capacité à partir de mots, simples, d’objets familiers parfois trouvés par hasard, de faire parler le quotidien. Un gant en caoutchouc délaissé sur une plage devient l’objet d’un examen minutieux, une forme aux contours évocateurs et sert de réflexion au sens des choses.

Techniquement, le dessin de Raetz est précis ; il semble être un passage obligé, une aventure, le temps de la réflexion ; il sert aussi l’élaboration de sa pensée qui se métamorphose ensuite en sculpture ou en œuvre cinétique. Dessin, suite de dessins, mouvement.

Le croquis et l’esquisse paraissent essentiels et témoignent ainsi des recherches et de la méticulosité du bernois. « [...] Cet art du dessin », comme l’affirme Max Wechsler, « constitue également une école de l’art de regarder, une étude sur l’observation, où ce sont précisément les motifs quotidiens et évidents qui, ne détournant pas l’attention de l’objet en tant que tel, renforcent encore, par leur caractère anodin, l’attention accordée à l’essentiel. » [1]

S’intéresser à l’univers de Raetz c’est s’intéresser à l’aspect rétinien et à la manière de regarder. C’est aussi voir les objets apparaître et participer aussi bien à la naissance qu’à l’évaporation des formes, pour comprendre que l’intérêt de ne se situe pas là.

Pour Wechsler, « les mutations intermédiaires visibles et imaginées sont aussi importantes que les situations initiales et finales élaborées. La dynamique décisive de ce type d’art s’inscrit effectivement entre les différentes extrêmes du visible, entre la figuration reconnaissable et définissable et sa dissolution en formes abstraites sans la moindre référence concrète. Nous n’évoluons pas ici dans l’univers de la certitude, mais - comme la plupart du temps chez Raetz - dans le domaine du possible ». [2]

Le « domaine du possible » ou, en d’autres termes, « une oscillation dialectique infinie chasse l’insaisissable d’un extrême à l’autre et le renvoie du Pour au Contre », comme l’écrit le philosophe Vladimir Jankélévitch [3], ainsi pourrait se résumer l’intelligent jeu auquel nous convie, à travers ses métamorphoses et ses silhouettes, ses mots hybrides (Wortkreuzungen) ou sa plastique cinétique, Markus Raetz.

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++Notes++

[1] Max Wechsler, « Eben : au Maroc en compagnie de Robert Walser », in Markus Raetz, eben, 1971/2005, Lucerne/Poschiavo, Edizioni Periferia, 2005, p. 76

[2] ibid, p. 78-79

[3] Selon Gilbert Lascaux, la création de Markus Raetz peut être un peu mieux comprise en lisant le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien (1957) du philosophe Vladimir Jankélévitch in Gilbert Lascaux, Markus Raetz, Actes Sud / Carré d’art, catalogue d’exposition, Arles 2006, p. 10

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