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Le marché de l’art contemporain

marché de l’art contemporain

  • dimanche 26 novembre 2006
Chaque chercheur mobilise les outils d’analyse de sa discipline pour mener une réflexion sur les propres objets de sa spécialité, mais aussi sur ceux d’autres champs pratiques ou théoriques. Il est aujourd’hui indiscutable - comme il y a eu la sociologie à l’époque de Bourdieu- que l’économie apparaît comme nouvel outil d’analyse tant des sciences humaines, que des sciences dites « dures » et plus récemment de l’art avec son inscription dans le marché économique mondial.

Au delà des critères esthétiques qui ont vu leur évaluation mise en crise dans les années 90, il semble aujourd’hui que ce soient les critères économiques qui se substituent à ceux établis depuis au moins Baumgarten et sa science du Beau. Comme s’il fallait nous souvenir que l’art a toujours été lié à l’économie, fusse celle de gens avisés et cultivés comme l’était la plupart des mécènes de la Renaissance, ou les riches aristocrates ou marchands du siècle des Lumières, ou même les lettrés contemporains de la révolution industrielle.

Mais il est alors intéressant de voir se substituer à l’impuissance des théoriciens de l’art à forger de nouveaux outils conceptuels pour interroger l’art d’aujourd’hui - si ce n’est un vocabulaire hybride plus proche de la confusion que des oeuvres même, noyant et servant dans une sorte de soupe intellectuelle des notions à durée déterminée et faisant le lit à ceux que d’autres nommeront, pas toujours à tort, le n’importe quoi - l’efficacité des scientifiques, dont les économistes font partie, à proposer des critères d’appréciation jusqu’à présent mis à l’écart du champ des théoriciens de l’art à savoir : talent, hasard, stratégies qui donnent naissance à une hiérarchie des valeurs débouchant sur « un relatif consensus », tant de la part des acteurs du monde de l’art que des producteurs de celui-ci (c’est à dire les dits artistes).

Outre deux numéros de revues spécialisées, www.espacesetsocietes.msh-paris.fr consacre un numéro double (124-125) autour de « L’économie des territoires et territoires de l’économie ».

Fruit d’enquêtes menées par les deux auteurs au cours de ces dernières années, Le marché de l’art contemporain, pourrait prendre comme sous titre « tout ce que vous voulez ou devez savoir si vous êtes un artiste ou si vous désirez devenir un artiste » ou du moins un producteur d’oeuvre ou de « quelque chose » qui s’y apparenterait sitôt qu’elle aurait une valeur comptée tant en termes artistiques qu’économiques. Aussi cet ouvrage apparaît-il comme un petit précis sur les conditions socio-économiques dans lequel se forgent de manière inséparable valeur artistique et valeur économique. L’une ne pouvant plus s’appréhender sans l’autre, et c’est dans cet enchevêtrement que se trouve le premier intérêt de ce petit manuel à mettre dans la bibliographie de tout cursus d’école des Beaux-Arts ou d’université s’évertuant à former si ce n’est sensibiliser les jeunes créateurs.

Nous connaissions les ouvrages de référence de Arène de l’art (1988) de Cueco et Gaudibert, mais ici s’ajoute la dimension économique qui tend à se substituer après enquête dans les « mondes de l’art » à celles de l’esthétique et de l’artistique comme si l’économique venait au secours de l’artistique, évacuant par la même la dimension esthétique.

Car les auteurs listent tout d’abord, « le champ des confusions » qui anime les mondes de l’art, à savoir, ceux des repères artistiques, des repères économiques, des frontières géographiques, des rôles des acteurs de l’art, des sphères artistiques et économiques mais insistent aussi sur la place des intermédiaires devenus incontournables dans un marché international dont les coûts de production et de diffusion entraînent la nécessité de nouveaux agents spécialisés.

Ils proposent aussi comme nouveau critère artistique celui « d’originalité » regroupant les notions d’unicité, de nouveauté et d’authenticité des oeuvres. Sans faire une analyse théorique et encore moins esthétique des oeuvres souvent référencées dans celles déjà reconnues par le marché de l’art contemporain, ils ont le mérite de poser des questions simples, et parfois même tabou, que tout un chacun a sur le bout de la langue, mais que personne d’accrédité n’ose poser. Ainsi, « comment distinguer une oeuvre qui demain sera incontournable ? » et confirment-ils aussi que les oeuvres les plus chères ne sont pas forcément celles des meilleurs artistes.

D’autre part, ils démontent clairement les réseaux auxquels doit appartenir un artiste pour être légitimé par le marché car à la base de « la valeur fondamentale » d’une oeuvre d’art s’exerce l’action conjuguée du réseau d’agents » tandis que marchands et collectionneurs sont devenus beaucoup plus influents que critiques et conservateurs. Le réseau reste toutefois primordial et plus il compte de personnes, plus « le capital social » (Bourdieu, 1980) d’une oeuvre est élevée et plus sa légitimation sera importante.

Ainsi, si valeur économique et valeur artistique ne se recouvrent pas toujours, il reste aujourd’hui un fait que c’est le talent conjugué au hasard et aux stratégies qui forment la valeur.

A la fois tonique, sans langue de bois mais aussi quelque peu désenchanté pour les artistes romantiques, cet ouvrage est à mettre dans les mains du plus grand nombre, ne serait-ce que pour combler le fossé entre le public et l’art contemporain, décomplexer le premier et rendre un peu plus transparent le second.

Si en tant qu’économistes, les auteurs ne rentrent pas dans l’analyse des oeuvres, ils nous laissent supposer en filigrane que ce n’est plus l’objectif premier des acteurs des mondes de l’art. Restent à ceux qui s’y intéressent encore, critiques, enseignants, conservateurs mais aussi quelques galeristes, la lucidité de faire avec ce que l’économie nous apprend de notre propre goût et de notre capacité à faire des choix - aussi différents puissent-ils être malgré la côte médiatique de certains artistes - ce que certains nomment la bulle spéculative.

Réjouissant et optimiste reste ce petit précis dont la teneur scientifique offre paradoxalement une bouffée de liberté sans complexes.

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++INFO++

A l’aune de cette actualité éditoriale, s’est tenu à Nantes les 15-16-17 septembre le congrès annuel de l’association « Gens d’images » qui décernent les http://www.gensdimages.com

Le marché de l’art contemporain Nathalie Moureau, Dominique Sagot-Duvauroux Editions La découverte, collection Repères, 2006

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