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Les années américaines, 1966-1985, Bernard Plossu.

Bernard Plossu 36 vues
Bernard Plossu 36 vues
à LA FAB./ Galerie du Jour, lieu d’exposition de la collectionneuse Agnès B , située juste en face de la Très Grande Bibliothèque François Mitterrand dans le XIIIème arrondissement de Paris, se tient jusqu’au 28 mai 2023, Les années américaines 1966-1985, de Bernard Plossu, réalisé par Marc Donnadieu à la suite de la découverte récemment de six boites contenant 860 pellicules et plus de 200 photographies tirées par Françoise Nunez non encore inventoriées.

Voir en ligne : https://la-fab.com/la_galerie/berna...

L’exposition aligne sur les 4 murs 123 photographies alternant les formats 24x30 et 18x24 cm, une carte des endroits photographiés et deux vitrines contenant les livres de Bernard Plossu réalisés sur les Etats-Unis d’Amérique (certains sont très rares) et des planches contacts. 
Le commissaire d’exposition connait bien cette période américaine depuis l’exposition « So Long, vivre l’Ouest américain » qu’il a conçu en 2007 au Fonds régional d’art contemporain de Haute Normandie. Marc Donnadieu propose un road movie au visiteur, parcourir le nez sur les photographies un itinéraire imaginé par des échos formels et poétiques, des ricochets esthétiques et non issu de la chronologie, ni des lieux de ce périple américain du frenchie Bernard Plossu.

Comme un contre-point au légendaire Voyage mexicain, une anthologie, l’exposition conçue d’inédits montre une Amérique quotidienne sur deux décennies, son évolution, ses spécificités par Etats à travers le regard de ce photographe citant Edouard Boubat comme référence et non Henri Cartier-Bresson (HCB), qu’il n’a jamais rencontré. D’ailleurs, il esquive souvent les réponses concernant des questions sur cet équilibriste de « l’instant décisif ». Ces années-là témoignent également d’une certaine porosité entre le Mexique et la Californie, loin d’un mur à construire des années Trump ou de la politique anti immigratoire discrète des Démocrates.

Comme un retour biographique de ce photographe, attiré par les beatniks (et non les hippies) en 1966 avec son ami Bill Coleman (son guide poète), il s’installe en 1977 au Nouveau Mexique et fonde sa première famille jusqu’en 1985, où il quitte définitivement ce territoire pour s’installer en Europe, l’Europe du sud, et fonder sa deuxième famille.

A la fin du road movie, une citation de Bernard Plossu est affichée avec une police imitant la machine à écrire de ces années 70 : « En photographie, on ne capture pas le temps, on l’évoque. Il coule comme du sable fin, sans fin. Et les paysages qui changent, n’y changent rien. On ne prend pas une photographie, on la “voit“, puis on la partage avec les autres. Je pratique la photographie pour être de plain-pied avec le monde et ce qui se passe. » 
Les voitures, les trains, les cow-boys, les casinos, les pom-pom girls, les déserts, les routes, les architectures, les motards, les vans, les églises en bois, les familles, les plages, les cabines téléphoniques, etc. défilent. Comme l’écrivait Jean Baudrillard dans « Cool memories », l’immensité du paysage américain entre dans la voiture, c’est le landscape qui rentre en vous et non l’inverse aux USA. Ce voyage en noir et blanc d’un autre temps rythme les sensations, la délicatesse du trait confinée par la miniature des tirages suggère chez certains visiteuses attentives la perception d’une mine graphite posée sur un papier à dessin…

Une photographie m’a questionné : elle est accrochée sur le 2ème mur, la 46ème du défilé. Les titres donnés aux photographies sont des légendes sommaires mentionnant uniquement le lieu et la date, l’Etat et l’année. Pour les connaître, il faut prendre un dossier à l’entrée si le visiteur souhaite en savoir plus sur que ce qu’il voit. Et il voit déjà beaucoup s’il est concentré sans lire ce dossier de plusieurs pages. Nouveau Mexique, 1980, Cette photographie est entre deux Arizona, une de 1979 et l’autre de 1984. Le seul fil entre les trois, c’est qu’elles respirent le Far West. Et pourtant entre une fermière en robe à carreaux courant dans une rue avec avec une carabine tout droit sortie d’un western et trois cow-boys aux chapeaux bien identifiés devant leur pick-up Ford, une teenager en short, t-shirt et tongs portant une machine à écrire dans les bras dans une rue où la poussière s’envole au moindre coup de vent m’intrigue.

Le matin même avant de voir l’exposition, dans le train, je relisais « Bernard Plossu, 36 vues » publié par les éditions Poetry Wanted l’année dernière (2022). Et la couverture de ce petit et dense ouvrage constitué de 36 photographies choisies par Bernard Plossu pour raconter sa vie est légendée par Nouveau Mexique, 1980. L’adolescente photographiée de dos tape en alternant sur deux machines à écrire posées sur le capot d’une voiture américaine typique des années 80, la porte arrière ouverte. Elle est habillée de la même manière. L’a-t-il photographiée le même jour ?

Son histoire page 61 dans l’ouvrage est très factuelle sur cette photographie. Il invite même son ami Denis Roche à « écrire un sacré texte sur cette image ». Lui, ne le fera pas, il raconte le contexte, une commande de la New Mexico Photographic Survey et reprise pour un carton d’invitation de l’exposition « The open road » au Detroit Institute for the Arts en 2016. Etonnant hasard, je ne crois pas à ce qui est fortuit, la sérendipité nécessite un terreau. Sur 123 photographies, une se détache comme la pièce manquante d’un puzzle inexistant, celui de mon imaginaire. « En tout cas, nos destins se croisèrent, pendant un millième de seconde. La légende pourrait être « Nowhere, USA » tellement on est loin de tout. C’est dans des moments pareils qu’on se dit qu’on fait vraiment un métier merveilleux ! » (la fin de l’anecdote de Bernard Plossu sur cette image).Où est la réalité ? Subjective mémoire ? Je n’en serais pas plus sur cette collision entre deux photographies par mes neurones, une inédite présentée dans une exposition, l’autre choisie en couverture pour se raconter dans un merveilleux petit livre. Et tant mieux, le mystère persiste.

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++INFO++
Les années américaines, 1966-1985, Bernard Plossu. du 24/03 au 28/05/2023, Galerie du Jour / LA FAB. 


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