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Le temps du corps

Vidéo à l’Institut Suédois

Maria Friberg
Maria Friberg
L’Institut suédois, que l’on connaît malheureusement trop peu pour sa programmation en art contemporain, présente actuellement une petite exposition de vidéos d’artistes (commissariat Brent Klinkum). Toutes de courte durée, elles permettent une déambulation souple au sein des espaces relativement exigus des bâtiments.

Voir en ligne : http://www.si.se/Francais/

S’il est difficile de relier les œuvres entre elles, tant elles possèdent des caractéristiques et des thématiques différentes, certaines sont toutefois marquées du sceau d’une absurdité étonnante qui s’exprime sans débordement. Par exemple, l’œuvre Christophe & Christophe d’Andreas Gedin, composée de deux écrans sur lesquels deux hommes, sur fond coloré qui connote fortement les émissions télévisées aujourd’hui dépassées des années 80, déclinent stoïquement des listes de mots. On comprend qu’ils doivent, chaque seconde, prononcer un mot différent. L’un fonctionne explicitement par association d’esprit, commençant inévitablement par les parties du corps, avant de s’attacher à d’autres domaines. Echouant très peu à ce jeu absurde (comme peuvent être absurdes certains jeux télévisés), il conserve en gros plan un calme serein, comme s’il s’agissait d’une épreuve importante ou d’un test d’aptitude. L’autre, au contraire, s’embrouille constamment dans ses associations d’esprit, qui peuvent passer sans sourciller de verbes d’action à des phénomènes naturels en passant par des meubles. L’exercice semble simple, et pourtant les nerfs des participants sont ici mis à rude épreuve tandis que le spectateur se ressasse mentalement ce que lui aurait dit à leur place.

Autre image de l’absurdité, avec la vidéo Ambidextrous n° 5 of 8, de Lars Siltberg, où l’artiste pousse à son extrême la logique d’un Alighiero e Boetti écrivant des deux mains face à la caméra de Gerry Schum. Ici, Siltberg dessine des lettres (plus qu’il ne les écrit) à l’aide de ses pieds et de ses mains sur un tableau noir, qui deviennent à force de confusion, de véritables calligraphies impossibles à déchiffrer. Vu de dos, l’artiste se contorsionne comme une araignée qui tisserait sa toile pour arriver à tracer les mots, mais en vain.

On pourrait également citer Dream Mile, courte vidéo de Maria Friberg dans laquelle un chanteur d’opéra tente de conserver un souffle relativement stable pour chanter un air du Mariage de Figaro tout en courant à petites foulées. Le titre de l’exposition, Le temps du corps, nous rappelle (même de manière littérale), que le rire et l’absurdité peuvent provenir d’un corps qui se meut autrement que ce qu’on attend de lui. C’est bien ce qui est à l’œuvre dans Somewhere else (toujours de Maria Friberg), qui nous montre ce que les codes sociaux ignorent, à savoir le dessous des tables. Si le corps empaqueté dans ses habits de monstration, en l’occurrence le costume-cravate doit faire bonne figure au-dessus de la ceinture, comment se comporte-t-il sous la nappe ? Jambes croisées, timidité apparente, ou au contraire agacement et pieds qui tapent le parquet, autant d’attitudes masqués qui sont ici dévoilées. Le cadrage cachant les visages, de nouvelles attitudes de domination ou de soumission se révèlent.

On pourra en revanche être moins convaincu par certaines vidéos présentées, comme par exemple celle d’Annika Eriksson, qui malgré les bons sentiments, ne réussit pas à complexifier la situation des acteurs handicapés mentaux avec lesquels elle travaille.

Enfin, les questions politiques sont bien présentes dans l’exposition, aussi bien avec Project for a Revolution de Johanna Billing (réfléchissant sur l’inaction et l’ennui) ou encore les graffitis sonores et invisibles d’Andreas Gavell-Mohlin, que l’on pourrait très bien voir comme une réflexion cynique sur les clichés liés à la propreté des civilisations nordiques. On leur préfèrera toutefois le non-sens et l’inquiétude de Blown out de Maria Friberg, vidéo dont la durée ne permet pas la compréhension mais laisse au contraire le spectateur dans la frustration la plus totale. Difficile d’ailleurs de la décrire, sinon : un chauve se noie paisiblement dans des bouillons d’écume. Au final, peut-être une exposition inégale dans ses propositions, mais dans tous les cas un aperçu intéressant d’une certaine scène vidéo suédoise, avec (et cela est suffisamment rare pour être signalé) une excellente gestion des sons. Les standardistes, qui doivent écouter par jour environ 180 fois le célèbre air du Mariage de Figaro, ne seront probablement pas du même avis.

(Nota Bene : lors de ma deuxième visite, deux casques avaient miraculeusement fait leur apparition dans la salle. Le débat américain sur la torture musicale se serait-il déplacé dans ce paisible centre culturel ?)

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++INFO++
Le temps du corps, Institut suédois, 11 rue Payenne, 75003 Paris. Jusqu’au 18 avril 2010.

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