Au fond, l’espace est une fiction absolue à laquelle le psychisme humain a donné une réalité incontournable. Ici, nous sommes comme renvoyés à un stade antérieur à ce processus, au moment où l’espace n’existe pas encore comme une donnée évidente de la perception et où le cadre de la pensée n’est pas stabilisé.
Côme Mosta-Heirt a eu recours, il y a longtemps, à des poutres de bois qu’il installait simplement contre les murs. Puis il a travaillé des troncs qu’il noircissait, polissait, installait comme des murailles devant nous protéger contre les vagues de l’Atlantide et sur lesquels, souvenir d’un feu à venir, des traces de couleurs vibraient comme des appels.
Il semble que l’exposition d’aujourd’hui soit comme une synthèse de ce double mouvement d’exploration pensée et de confrontation affirmative et sensuelle. Les éléments en bois sont à nouveau posés contre les murs mais ce ne sont plus, figure ardente du minimalisme, des planches aux accents de géomètres mais des branches qui se dédoublent. Noircies et posées au sol, elles ont l’allure d’êtres étranges pourvus de jambes, mais qui, acéphales, semblent ne pas pouvoir se mouvoir par eux-mêmes et pourtant le tenter. A moins que ce ne soient des phasmes géants en train de s’inventer humains ? A l’évidence ces êtres sont « sentants », mais pas « pensants ». Ce à quoi l’on assiste dans cette exposition, c’est à ce mouvement incessant de la sensation d’exister qui s’étire et se tend vers l’inconnu au point de s’inventer un monde et de se découvrir pensée.
Trois moments la constituent. Des corps posés contre le mur forment groupe et, à la fois déployés et rassemblés, ils semblent tentés de grandir pour inventer le ciel. D’autres, semblables et différents, les mêmes pourtant au fond, dans un angle, font la même tentative à ceci près qu’ils s’appuient sur un double miroir. Leur reflet leur donne l’allure d’être entiers autonomes et qui savent ce qu’ils sont. Ils sont en cet instant des doubles de l’homme et des sortes de figures précaire d’un début de conscience. Mais ils sont prisonniers du reflet comme la mouche de la toile de l’araignée dans la forêt des songes.
Sur un autre mur encore, ils sont encore là, jambes et troncs acéphales. Mais cette fois, fenêtre de la vie dans le mur blanc du secret, un écran qui projette les mouvements instables de pieds et de jambes d’un être incertain acéphale aussi. Impossible de ne pas y voir les balbutiements de l’homme d’avant, de l’homme encore, de cet être qui, doté d’un corps dont il ignore presque tout et qu’il habite, ne sait toujours pas plus que cela s’orienter dans le monde.
Et il y a les chaises. Avec ces quatre éléments, trois vieilles chaises de cuisine, une jaune, une rouge, une verte et une autre, en retrait, en plastique coloré transparent, de la couleur des lagons dans les rêves que nous vend la publicité, Côme Mosta-Heirt prolonge sa réflexion sur le devenir pensée de l’élan vital qui existe en chaque être. Objets fabriqués en série, ces chaises évoquent l’homme accompli, l’homme au sommet de son art, l’homme assis. Mais l’homme assis n’en a pas fini avec l’homme debout et acéphale qui vit encore en lui, qui pousse encore en lui ses ramures de nuit, qui demande encore et encore à comprendre ce qui se passe, ce qu’est l’espace, ce qu’est le temps.
Et c’est de cet homme-là dont Côme Mosta-Heirt nous donne en quelques sortes des nouvelles. Celui qui comme Macbeth peu avant un dénouement qu’il pressent tragique sans se résoudre à y croire cependant, demande à son médecin : « Ne pouvez-vous traiter un esprit malade, arracher à la mémoire un chagrin enraciné, effacer les soucis écrits dans le cerveau, et grâce à quelque antidote de doux oubli, soulager la poitrine oppressée du poids périlleux qui pèse sur le cœur ? » ( Macbeth, Acte V scène III). Eh bien non, la réponse est non. Et c’est parce que c’est non que l’art encore, parfois, a quelque chose à nous dire.
Galerie Georges Verney-Carron 45, quai Rambaud, 69002 Lyon Tél. +33 (0)4 72 69 08 20
Côme Mosta-Heirt Gâtons la chaise Exposition du 14 Janvier au 7 Mars 2009
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