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Le Pied à l’étrier

Après l’école Biennale Artpress des Jeunes Artistes

Assoukrou Aké
Assoukrou Aké 
Que deviennent aujourd’hui les jeunes artistes après être sortis de leurs écoles ? Cette question que s’était posée Artpress nécessitait une réponse concrète. Catherine Millet a considéré que ce magazine quinquagénaire devait devenir un acteur de la création artistique contemporaine et à venir. Pour cette deuxième Biennale, réunis sous l’intitulé général Les Ambivalences du présent, les travaux de trente-deux jeunes artistes sélectionnés sont présentés à Montpellier dans trois lieux : le Mo.Co la Panacée, le Musée Fabre et l’espace Dominique Bagouët.

Voir en ligne : https://www.artpress.com/2020/09/10...

Choisis sur dossier sans connaître leur provenance - les écoles supérieures des Beaux-arts où ils ont été formés - ces jeunes artistes viennent de diverses régions de France mais aussi d’Afrique, de Corée ou de Chine. Leurs différences de formation se ressent dans leurs pratiques, leur choix d’un médium et dans leur volonté d’aller parfois explorer les frontières de l’art, même si certains restent attachés à des pratiques plus courantes. Ce panorama d’une génération, forcément très éclectique, manifeste une diversité réjouissante dont les deux curateurs ont bien tenu compte, ne se contentant pas de juxtaposer des œuvres mais les faisant dialoguer afin de montrer ce qui les réunit comme ce qui les sépare. Mention spéciale à la dispersion savante d’œuvres dans le musée Fabre de sorte que le contemporain est invité à dialoguer avec l’art ancien.

Montrer la Nature , L’une des préoccupations majeures de ces jeunes artistes est d’interroger notre relation à la nature et au vivant en nous confrontant aux biotopes de différentes espèces, ce qui transforme radicalement certaines des œuvres exposées en des exhibitions quasiment naturalistes : abriter des grillons vivants dont l’on peut entendre les chants apaisants dans le musée pour Ève Champion, avec son Éternel printemps ; polliniser l’inerte avec de la monnaie du pape, pour Célia Cassaï qui a utilisé des graines pour fertiliser des matériaux comme des cordes végétales ; explorer les profondeurs sous-marines, pour le marocain Saïd Afifi avec Yamama, nom d’une déesse qui signifie la mère des poissons. De nombreuses présentations ont donc exclu de recourir à la représentation artistique en inventant des dispositifs où la nature nous interpelle directement. Pourtant, cette dernière œuvre, qui nous fait pénétrer dans l’espace sous-marin inaccessible des profondeurs d’une grotte, a été contrainte d’utiliser une technique scientifique afin de le reconstituer : la photogrammétrie. Un autre jeune artiste, Alexandre Zhu, a simplement représenté la surface de la mer en noir et blanc par un dessin au fusain, mais l’ampleur de ce travail (un grand triptyque) et le recours à un savoir-faire graphique traditionnel parfaitement maîtrisé nous emportent vers une vision sublime du miroitement de la lumière d’étoiles qui scintillent sur une mer agitée.

Faire voir autrement

S’évadant d’une nature que l’on perçoit telle qu’elle nous environne d’ordinaire, des artistes nous font explorer leurs dérives imaginaires en créant chacun une nature fantasmagorique : l’inventif Jeremy Griffaud a installé un dispositif immersif en alliant la mise en mouvement du corps du spectateur à celle d’une vidéo animée dont la technicité originale réunit dessin et travail sur ordinateur. Il nous fait pénétrer au cœur d’un univers baroque d’une inquiétante étrangeté. Ou encore le facétieux Ugo Lange s’est livré dans ses dessins aquarellés à des fantaisies tératologiques de grand format pour inventer une nature potentielle proliférante où, dit-il, « le plus intime est l’altérité radicale ». Ces deux artistes nous rappellent que la nature n’est pas réductible à ce que nous en connaissons. Ernst Haeckel, disciple de Darwin qui a popularisé l’idée d’évolution, s’extasiait : « la nature produit dans son giron une masse inépuisable de formes merveilleuses qui dépassent par leur beauté et leur variété tout ce que l’homme peut créer comme formes artistiques. » Avec la théorie de l’évolution, la nature ne serait-elle pas devenue un défi pour la représentation artistique ? Plutôt que de nous confronter à la nature existante ou de nous permettre d’imaginer une nature fabuleuse, d’autres artistes ont préféré s’interroger sur l’art, souvent par le biais des nouveaux médias - même si la peinture reste utilisée, par exemple par Raphaël-Bachir Osman, dont le travail habile de trompe l’œil lorgne vers le conceptuel. Thomas Gasquet trace au feutre des formes abstraites ou dessine de pseudo-cartographies sur des tableaux Velleda - comme pour proclamer l’obsolescence de ce médium ancien. Enfin, un engagement politique et social anime certaines productions : Valentin Tyteca convoque la révolte et le monde du travail dans ses installations à forte charge symbolique. Assoukrou Aké, natif de Côte d’ivoire, revisite sa culture d’origine, mais dans une œuvre-manifeste il s’inspire du tableau La Liberté guidant le Peuple de Delacroix. Sa réalisation (des figures à peine esquissées à l’encre sur des journaux) insiste sur la fragilité de la liberté en démocratie et sur les fantômes de l’histoire.

Détourner le médium

Photographies et vidéos, ces médias souvent utilisés par ces jeunes artistes répondent à des préoccupations diverses. Beaucoup détournent leur valeur d’usage ordinaires. L’arménienne Vehanush Topchyan s’efforce de traquer l’invisible en photographiant en noir et blanc des nuages de poussière dans la série Dust. Laure Tiberghien a utilisé la photo-graphie au sens étymologique d’écriture de la lumière pour proposer un travail plastique quasi-abstrait sur la couleur. La vietnamienne Linh Jay déconstruit des images numériques de flore et des enregistrements de chants d’oiseau en croisant documentaire et fiction dans sa série Quand les lucioles tricotent la nuit, où elle a utilisé la poésie pour accompagner ces épiphanies inspirées. La nature devient l’opératrice féérique d’une mutation de notre perception. Les vidéos expérimentales de Mélissa Medan nous confrontent à un monde alternatif où les images désincarnées ne renverraient plus qu’à elles-mêmes tout en jouant avec malice de l’univers numérique dans lequel nous sommes plongés. La vidéo se confond parfois avec le cinéma : la frontière est poreuse entre ces deux formes d’expression chez l’argentine Melisa Liebenthal, qui déroule sa généalogie familiale dans un film documentaire en l’inscrivant dans l’histoire.

Impossible de citer tous ces artistes dont les réalisations nous surprennent parce que elles ne ressemblent pas à des travaux de jeunesse : ils ou elles font preuve d’une maturité surprenante. De quoi être optimiste ?

La question du devenir de ces artistes leur importe plus encore qu’à nous. Mais cette nouvelle génération est aussi devant une responsabilité : celle de faire vivre l’art en explorant des possibilités nouvelles, dont celles qu’offrent de nouvelles technologies. On peut se demander si, une fois qu’on leur a mis le pied à l’étrier, ils feront cavaliers seuls ou se regrouperont en collectifs. On appelait autrefois école non pas le lieu provisoire d’une formation initiale mais un courant ou un mouvement rassemblant des artistes selon leurs affinités comme lorsqu’on dit l’école de Paris. La diversité de ces artistes venus de partout et de nulle part tient aussi à l’absence du centre cosmopolite qu’était Paris, et elle se manifeste par le développement de lieux qui les accueillent en résidence et qui les exposent dans chaque territoire.

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++INFO++
"Après l’école" Biennale Artpress des Jeunes Artistes Montpellier du 1er octobre au 8 janvier 2O22 Curateurs : Étienne Hatt et Romain Mathieu

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