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Labours, une proposition de Coline Lasbats

Une résidence à la Maison François Méchain

Labours
Labours
Avec cette œuvre, triptyque photographique (format 30 x 40 cm chaque), Coline LASBATS nous introduit au cœur de ses préoccupations liées à l’image photographique. Travaillant essentiellement en argentique, elle questionne et met en jeu le fondement même de ce medium - la lumière et son empreinte sur le papier - qu’elle s’attache à développer à travers une pratique singulière.

Voir en ligne : https://www.colinelasbats.com

Soit au départ des Images de labours en noir et blanc, réalisées dans les champs des paysages de son enfance dont la mémoire collective orale se souvient encore de bombes tombées ici ou là durant la dernière guerre et qui n’auraient pas explosé. Chaque passage de charrue reste susceptible de les exhumer. C’est là qu’apparaît le processus particulier que Coline a imaginé pour que la révélation de l’image à la surface du papier argentique rentre en cohérence avec la prise de vue.

Les promenades de Coline dans la campagne sont indissociables des traces visuelles et sonores des chasseurs : cartouches vides jonchant le sol, déflagration des tirs dans les bois... Dans l’errance du regard qui a accompagné ces flâneries, on sent de façon palpable, touchante, un certain ennui, peut-être celui des enfants grandissant à la campagne, mais un ennui fécond, nécessaire, attentif aux choses et promesse d’une inventivité à venir. C’est dans ce palimpseste de sensations qui a nourri sa réflexion qu’elle va trouver la mise en œuvre de sa méthode. Après le cliché réalisé de la terre retournée par le soc, le négatif d’origine est agrandi et transposé sur un rhodoïd puis appliqué directement sur le papier argentique par contact ; le dispositif, recouvert par une vitre épaisse destiné à le protéger, est déposé au sol et bombardé ensuite dans le noir du labo photo avec des pétards lancés violemment dessus, de ceux que l’on nomme « claque-doigts » et qui sont vendus comme jeux ; 1500 à 2000 sont nécessaires pour traiter chaque image.

Debout, l’artiste s’intéresse à la violence du geste nécessaire pour les jeter et les faire exploser. Ce sont les impacts lumineux successifs qu’ils produisent en frappant le verre qui vont insoler progressivement les sels argentiques du papier, de manière aléatoire, en accentuant plus ou moins certaines parties de l’image, contrairement à l’ampoule de l’agrandisseur qui, elle, répartit une lumière égale sur le papier. Les contrastes demeurent aléatoires par rapport à ceux que le négatif contient ; mais c’est justement cet aléatoire qui retient l’attention de Coline. La terre du cliché originel, plus ou moins accidentée selon la profondeur des labours, donne des contrastes marqués à la prise de vue ; mais elle devient aussi motif et le spectateur est amené à se demander ce qu’il voit. Entre masses floues et masses nettes le regard se met en quête de quelque chose d’identifiable.

A la violence des traces de la guerre et à ces bombes enterrées, à présent silencieuses, fait écho le procédé de traitement de l’image élaboré par l’artiste. S’il semble relever du jeu de prime abord, à bien y regarder il s’agit d’un protocole soigneusement pensé : c’est sous les lueurs fugitives incessantes des claque-doigts qui explosent et se souviendraient de celles des bombardements que la photographie va naître petit à petit. La durée de l’expérience relève aussi de l’aléatoire : déterminer quand l’image a été suffisamment impactée par les flashs lumineux pour pouvoir être révélée reste livré à l’appréciation intuitive. Le processus choisi boucle ainsi la boucle mémorielle. La photographe tend en quelque sorte à notre regard une déflagration programmée, qui ne s‘est pas produite, latente, enfouie dans la glèbe, à laquelle répond la promesse de l’image à venir contenue par toute empreinte lumineuse argentique que le bain chimique révèlera.

Dans cette sédimentation temporelle vient ensuite une seconde étape, celle muette de la chimie ; Coline avoue avoir été frappée par la façon dont les impacts montent dans le bain, comme autant de déflagrations visuelles silencieuses. Une ultime salve d’explosions étincelantes qui dessinent les contours des mottes de terre : une guerre de la lumière piégée à la surface du papier. Coline réactive ainsi deux fois son sujet de départ : dans le temps et dans le choix délibéré du traitement de l’image photographique. Le bruit du claquement continu des pétards dans la chambre noire est néanmoins absent des images finales montrées au spectateur. On se surprend alors à imaginer une autre approche de la photographie : où le travail ferait l’objet d’une performance dans le noir qui nous permettrait d’assister au processus en live et à l’ambiance sonore qui l’accompagne avant que le papier ne soit plongé dans le révélateur.

Au temps du labour, dont le sol révèle sous le soc de la charrue les objets enfouis autrefois qu’il peut receler, succède dans un second temps, celui la photographie qui révèle leurs présences latentes. Les éclairs, qui impactent parfois directement la surface du papier en laissant une trace, rejouent dans une sorte de fiction argentique l’histoire bien réelle des bombardements... Dans les pétards des jeux de l’enfance, quelque chose reste lié à l’interdit et au danger. Dans les images que l’artiste mitraille se rejoue quelque chose de cet ordre mais cette fois-ci au service de l’œuvre en train de se faire...Décalés dans le temps, des impacts de lumière labourent l’image à leur tour et de ce blitz dans l’obscurité du labo photo naît le sens de ce travail photographique de Coline Lasbats.

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