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La rencontre fortuite entre une biche sur une table de jardin et un sidérurgiste géant

Différences partagées

Vue de l'exposition"Différences partagées"
Vue de l’exposition"Différences partagées"
Vue de l’exposition "Différences partagées" à l’Aciérie de Dudelange
Dans le cadre de « 2007, Luxembourg et Grande Région, Capitale européenne de la Culture » dont le thème fédérateur a été « migrations », Café Crème édition et le Centre d’art Nei Liicht ont demandé à quatre jeunes artistes de travailler sur l’iconographie du Luxembourg et de la Grande Région. En articulant les choix en fonction des sensibilités des artistes, les organisateurs ont pu constater tout au long de la mission que les différentes positions artistiques ont pu soulever des questions très complexes ancrées dans les représentations locales et régionales.

En procédant par le repérage, l’échange, l’écoute, l’enregistrement, les artistes, confrontés à des situations quotidiennes, ont porté leur regard critique sur les identités multiples et sur la multi-culturalité du Luxembourg et de la Grande Région et ont pu développer progressivement une recherche artistique singulière et originale. Plutôt que de se répartir strictement les différents territoires géométriquement (chaque artiste un autre pays) ou artistiquement (chaque artiste un autre médium), ils ont chacun traité l’ensemble, essayant ainsi de saisir les particularités à travers une vision critique tout en privilégiant, selon les intérêts personnels, les thèmes comme l’espace urbain, le portrait, le territoire ou le langage.

L’exposition réalisée « in situ » dans le gigantesque cadre de l’ancienne aciérie de Dudelange a tenu compte de cette diversité en mélangeant les propositions de sorte à créer de nouvelles correspondances entre les œuvres, et de répondre ainsi à la mission de l’exposition « Différences partagées ». Avec la série « Grande région 1 à 4, 2007 », quatre cartes recouvertes des quatre couleurs classiques bleu, rouge, noir et vert du stylo-bille, Marco Godinho, luxembourgeois, d’origine portugaise, a déconstruit la notion de représentation de la Grande Région et réinterprété la cartographie par un geste à la fois destructeur et révélateur. Le recouvrement systématique contrôlé par une gestualité horizontale bien rythmée fait disparaître, parfois réapparaître, les éléments cartographiques et en créant de nouvelles représentations.

Si les cartes ne définissent plus un territoire et désorientent celui qui est étranger, le réconfortant « Welcome stranger », écrit en néon blanc à l’entrée de l’exposition, annonce par sa sémiotique hollywoodienne un parcours qui se situe entre le réel et l’imaginaire. Où sommes-nous ? Ou, qui sommes-nous ? Et quel est cet étranger qui est le bienvenu ? Dans « Mental type », chaque spectateur a besoin de l’autre pour se repérer dans un alphabet inventé par l’artiste et pour pouvoir sortir de ce labyrinthe de signes. Comme chez Fernando Pessoa, nous sommes enfermés dans nos mondes intérieurs et nous voyageons sans vraiment partir. Les clous, belle référence à l’usine dans laquelle nous nous trouvons, avec lesquels Godinho a écrit cette phrase émouvante du poète portugais, « Tenho en mim todos os sonhos do mundo », marquent métaphoriquement la dichotomie entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’absence et la présence, entre le rêve et la réalité.

Dans « Bamby1 » et « Bamby2 », du Français Jean-Baptiste Sauvage, il s’agit moins d’absence que de déplacement et de décontextualisation. L’installation qui présente une photo du gazon où le bamby a été déterré et une table de jardin recouvert de gazon naturel sur lequel repose un bamby en béton est une projection poétique d’une culture partagée entre ouvriers habitant les cités ouvrières et un clin d’œil artistique au ready-made post-duchampien. En résonance avec l’histoire de l’immigration et de cette pratique de récupération d’un espace individuel dans la standardisation de la cité ouvrière à travers les petits jardins, le travail de Jean-Baptiste Sauvage répond aussi, sans préméditation, à la présence monumentale des portraits des derniers ouvriers de l’aciérie de Dudelange que l’Allemand Andreas Böhmig montre sous forme d’affiches géantes.

Dans sa série « Immigration temporaire’ , Andreas Böhmig établit une typologie des « passages » et des « présences » à la station Shell de Berchem, une des plus grandes stations services d’Europe, dans un style influencé par l’école de Düsseldorf. Les sachets en plastique, sur lesquels figure le logo de la marque d’essence, sont projetés de telle sorte qu’ils se confondent avec les jambes des visiteurs de l’exposition. L’idée de passage est reprise aussi dans son autre série intitulée « Transitorische Räume » qui révèle des chambres partagées par des ouvriers étrangers. A ces espaces transitoires au « va et vient » obligé, Marco Godinho oppose son installation « Trophées », une œuvre qui monumentalise et immortalise les chemins parcourus de personnes rencontrées qui lui ont offert leurs chaussures pour qu’il les transforme en petites sculptures en béton. Dans la vidéo « Dudelange plage » de Jean-Baptiste Sauvage, les thèmes d’enfermement et d’évasion, de matérialité et d’immatérialité se révèlent ironiquement à travers l’image fixe d’une agence de voyage représentant une plage tropicale devant laquelle défilent comme une ombre chinoise les passants de Dudelange, pris dans leur mouvement de la vie quotidienne. Le bruit de la ville se confond avec le bruissement des vagues.

Les photographies et les vidéos de Nicolas Clément traitent aussi de la vie quotidienne mais souvent sans la présence directe des hommes. Plusieurs séries documentent notre environnement et livrent par les effets de l’installation dans différents endroits de l’exposition plusieurs lectures possibles. Le caractère systématique et répétitif des motifs crée une certaine distanciation face à l’image isolée. L’humour n‘est pas absent dans sa démarche. Il apparaît surtout dans ses vidéos « short road vidéo ». En dehors de l’impact typologique (78 images) la série « Cross the border, Grande région 2007 » , témoigne moins d’une réflexion sociologique que d’une critique face aux formes plastiques repérées dans les grillages et dans les clôtures des maisons de la Grande Région. L’œuvre, quoique construite rationnellement, avec un concept précis, n’est pas lisse. Évoquons à ce titre la série des animaux écrasés, ces « Natures mortes », comme l’indique le titre, de cette « Grande Région », - et qui sont la conséquence des flux migratoires journaliers. Dans ce parcours complexe, mais cohérent, l’hybridité des genres n’est nullement dérangeante.

Toutes les œuvres citées auparavant mais aussi la chasuble de forme gothique inspirée du logo de Shell de Jean-Baptiste Sauvage, à la fin du parcours de l’exposition, ainsi que les gardiens de « Sécurité Partagée » de Nicolas Clément et les murs transparents de Marco Godinho provoquent l’activation des correspondances entre les œuvres et permettent aux spectateurs une recherche continue des possibilités dans la confrontation « in situ ». Vue sous cet angle l’exposition temporaire « Différences partagées » est un laboratoire d’images vivantes qui s’inscrivent dans une démarche évolutive, une sorte de « work in progress » partagé.

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