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La Biennale en deux temps

Le temps des performances dans quelques pavillons nationaux

Pavillon Autriche : Erwin Wurm ©Paul di Felice
Pavillon Autriche : Erwin Wurm ©Paul di Felice
Comme le titre Viva Arte, ArteViva de cette 57e biennale de Venise l’indique, l’art contemporain y représenté se dote d’une vocation participative qui n’est pas toujours perceptible par les visiteurs selon le moment de leur visite. Les professionnels des premiers jours, souvent trop stressés pour attendre dans les files interminables, ou ceux des journées après les inaugurations faisant face à une économie de programmation de performances, n’ayant souvent qu’un aperçu du travail artistique complet.

Voir en ligne : http://www.labiennale.org/en/art/su...

On aurait pu croire que la programmation de la performance de cinq heures (pendant les journées d’ouverture) du pavillon allemand ne tiendrait pas ses promesses sur le long terme. Et pourtant, en ayant pu faire l’expérience de retourner au pavillon à différentes périodes depuis l’ouverture jusque début juillet, j’ai pu constater que le travail de l’artiste allemande Anne Imhof fonctionne très bien à tout moment et de façon différente chaque fois. Au tout début, sa performance Faust avait provoqué, avant même l’annonce du Lion d’or, des attentes insupportables devant la cage des chiens Doberman qui accueillaient la foule en aboyant. On avait compris alors que ce délai faisait partie du concept même de cette exposition-performance, nous mettant dans une posture voyeuriste dès l’entrée tout en faisant monter la tension en chacun de nous. L’accès nous donnant le temps de faire dévier nos sentiments du triomphe d’avoir réussi vers la culpabilité de rester trop longtemps dans cet espace dépouillé mais chargé d’émotions.

Lors des performances, le lieu et la chorégraphie simpliste capte l’attention du visiteur par son minimalisme extrêmement conceptualisé et le malaise de voir évoluer des jeunes « performeurs » entre les espaces évidés et cliniques et les cages en verre sous ses pieds. Néanmoins, malgré le Lion d’or, bien mérité, et une programmation journalière bien organisée, le visiteur pressé de la première heure n’aura vu qu’un pavillon transformé en souterrains vide en verre sans les performeurs qui se déplacent à quatre pattes sous les pieds des spectateurs. A l’inverse, le visiteur privilégié comme moi, pouvait voir évoluer le pavillon. Chacune de mes visites, à différents intervalles, me donnaient l’occasion de voir d’autres parties de la performance, parfois d’autres performers, souvent d’autres interactions avec les spectateurs.

Entre éthos et pathos, les corps androgynes aux postures politisés des performeurs changent sous les regards perplexes des spectateurs. L’exploration des espaces hostiles sous différentes formes chorégraphiques, pantomimiques et sonores, ressemble à un long cri muet qui perce ponctuellement afin de montrer que tout cela est un acte libérateur et une manière, comme l’a dit l’artiste lors dela remise du prix : « …de savoir quand il faut lever nos poings. » Si j’ai eu l’occasion de voir en tout plus de deux heures de performances du pavillon allemand, j’étais moins chanceux pour les performances musicales du « Studio Venezia » de Xavier Veilhan qui a transformé le pavillon français en studio d’enregistrement. Cependant l’absence de performance « live » n’enlève en rien de la force plastique de cette installation architecturale, sculpturale et sonore inspirée par le Merzbau de Kurt Schwitters. Tout au long de la biennale ce studio verra défiler des musiciens d’horizons différents qui viendront enregistrer leur composition. Entre les différents moments d’enregistrements, les visiteurs sont immergés dans cet univers plastique et musical particulier imaginé par Veilhant dans la lignée de ses oeuvres et de son esthétique singulière.

Une toute autre ambiance nous attend au pavillon autrichien qui expose les compositions abstraites en néon de l’artiste Brigitte Kowanz, avec son espace de lumière intitulé « Infinity and Beyond » et les sculptures participatives, très populaires intitulées « One Minute Sculptures » de l’artiste Erwin Wurm. Même si la majorité parmi nous a eu maintes occasions depuis les dernières années de se prêter au jeu de Wurm, ces petites sculptures qui s’animent au moment où les visiteurs suivent les consignes de l’artiste, prennent une toute autre dimension aujourd’hui à l’aire du numérique et des réseaux sociaux. Son camion posé verticalement devant le pavillon sur lequel on peut monter sur une espèce d’observatoire nous invite à nous arrêter et à regarder au-delà de la mer Méditerranée. D’après la commissaire, cette allusion wurmienne à la question de la migration apporterait une nouvelle dimension à son travail.

A l’opposé de ces sculptures participatives ludiques qui durent plus ou moins une minute, où le temps est décidé par la résistance du participant, le pavillon taiwanais montre les extraordinaires performances annuelles de l’artiste Tehching Hsieh qu’il avait fait à la fin des années 70 et le début des années 80 à Manhattan Downtown. L’exposition intitulée « Doing Time » nous fait découvrir à côté d’autre travaux deux de ces « One Year Performances » à travers des enregistrements et des artefacts. Dans une de ces « One Year Performances appelée aussi « Outdoor piece » de 1981 et 1982, l’artiste qui était alors un immigrant illégal, s’est imposé la règle de rester à l’extérieur pendant une année sans jamais se mettre à l’abri.

Comme beaucoup de ses travaux de l’époque cette performance abordait les questions de la survie, du contrôle, du temps et de la nature à travers des actions extrêmes subies par son propre corps, faisant fusionner l’acte artistique avec le processus de la vie. Beaucoup plus légère, mais très physique à sa façon, la performance intitulée « Thank you so much for the Flowers » de l’artiste luxembourgeois Mike Bourscheid, réalisée lors du vernissage du pavillon luxembourgeois met en scène l’artiste en pyjama de soie teint à la main, assis sur une espèce de chaise cannée portant un casque-vase en céramique très lourd dans lequel les visiteurs posent des fleurs en recevant comme échange un sourire et un remerciement. Une autre performance intitulée « The Goldbird Variations » de 2016 a été recontextualisé à Venise. Il arrive en costume doré avec un cache-sexe énorme, des pantoufles en bronze au pied et grimpe sur le lion de St Marc au museau coupé laissant apparaître une surface lisse dorée miroitante, tout en prenant des poses glamour. Perfectionniste, mais curieux et preneur de risque, il n’est jamais ridicule, ni dans ses travestissements inspirés de l’histoire de la mode et de personnages de la culture populaire, ni dans ses postures transgressives. Mike Bourscheid sait créer avec beaucoup de créativité artisanale et d’assiduité artistique un univers particulier que ses performances, mais aussi ses artefacts, font inscrire de façon humoristique dans des situations inspirées de la vie quotidienne et des comportements sociétaux. Comme l’artiste n’a prévu que très peu de performances lors de cette biennale, beaucoup de visiteurs du pavillon luxembourgeois n’auront vu que les artefacts, ce qui dans ce cas n’enlève aucunement l’intérêt du travail. La force de Mike Bourscheid, c’est justement dans le choix des objets, leur forme sculpturale, le détail du détournement du matériau et de leur potentialité performative presque plus que dans l’action elle-même.

Chaque salle de la Cà del Duca (actuellement encore le lieu du pavillon luxembourgeois) nous renvoie à un autre monde, où l’artiste évoque l’intime et le public, le quotidien et le théâtral, le féminin et le masculin, le statique et le mouvement, la force et la fragilité avec toujours des références cinématographiques, picturales et iconiques recherchées.

A la fin du parcours, le film « The Wellbeing Things » , tourné à la fin de l’hiver à Vancouver est d’une beauté déconcertante. Le visiteur aura l’occasion de contempler les accessoires personnels utilisés dans le film et de poursuivre son voyage dans l’univers théâtral et carnavalesque de Bourscheid en gardant une dernière image décalée de l’artiste en mi-pirate, mi-cowboy, avant de quitter les lieux et de retourner dans l’ambiance estivale vénitienne. C’est vrai que les performances dans une grande manifestation comme la biennale, que ce soit dans les pavillons nationaux comme dans l’exposition centrale, peuvent poser problème à cause de leur caractère éphémère. Mais les artistes sont de plus en plus conscients de la notion du temps et de l’espace d’une oeuvre et les dispositifs et programmation à la biennale en tiennent très bien compte.

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++INFO++
Mes coups de coeur des pavillons sans performance mais avec d’excellents travaux photographiques et cinématographiques : Belgique : Dirk Braeckman Afrique du Sud : Candice Breitz Australie : Tracey Moffat Nouvelle Zélande : Lisa Reihana Pologne : Sharon Lockhart

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