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ll y avait où il n’y avait pas, Vahan Soghomonian


Carton d'invitation
Carton d’invitation
La force de Vahan Soghomonian est de témoigner de ce qu’il a vu et ressenti en appelant des questionnements sur ce qui peut amener des peuples à se déchirer, à s’entretuer, à souffrir, et malgré tout, toujours aller vers la lumière pour ne pas basculer dans l’obscurantisme menant au chaos et à l’impasse de la folie meurtrière. Vahan Soghomonian résiste à sa manière, celle d’un artiste qui à travers ses nombreuses créations a montré ses valeurs humanistes, spirituelles, poétiques et utopiques.

« Avant même de le connaître, nous aimions ce pays et ses vieilles légendes, ces montagnes où nos pères plaçaient le berceau de l’humanité… »
1

Ne pas ajouter au pathos du pathos, tout en restant lucide est l’une des qualités de cette exposition, « Il y avait où il n’y avait pas ». Le titre contient déjà le propos de l’exposition. Cette expression arménienne se traduit en français par « il était une fois… ». Le visiteur est invité à découvrir une fable, et comme dans les fables de La Fontaine, Vahan Soghomonian raconte une leçon de vie. Un oiseau ( L’aigle de feux, binôme, Gishi, Arstakh, Hiver 2020) dans l’exposition peut personnifier ce que l’artiste veut nous dire en images. Cet aigle factice survole les montagnes, grâce à l’effet du déplacement du visiteur dans l’espace d’exposition 2. Et comme dans toute fable, l’action se déroulerait dans un nulle part, voulu par l’artiste, ouvrant ainsi l’imaginaire du visiteur, et en même temps ce nulle part existe, un fourmillement d’indices dans les photographies et dans l’exposition indique la latitude et la longitude de cette terre, quelque part en Transcaucasie 3.

Son propos serait d’immerger le visiteur dans sa perception de ce qu’il a vu et pris en photographie. En effet, ce dernier n’entre pas dans un parcours linéaire de photographies accrochées au mur, comme il pourrait le voir aussi dans un livre traditionnel en suivant un « chemin de fer », le faisant avancer page après page. L’artiste et la commissaire d’exposition, Alessandra Prandin ont choisi de raconter cette fable comme si le regardeur entrait dans un livre pop up, un livre en relief, où surgissent des images, des analogies, des émotions au fur et à mesure de son itinéraire, sans suivre un sens de circulation prédéfini. Comme cette terre imaginée (et pourtant bien réelle) est associée aux montagnes, un belvédère (un banc entourant un poteau) permet au visiteur d’avoir presque une vue kaléidoscopique de l’exposition, un panorama comme disent les alpinistes perchés à un sommet.

Comment traduire en exposition l’expérience d’un périple personnel récent réalisé à des saisons différentes dans des montagnes ? Vahan Soghomonian a bien effectué un road trip à travers une terre où il a bien rencontré des hommes et des femmes en chair et en os. 
Comment transmettre ce que l’artiste a pu traverser comme paysages et épreuves en 2020 dans ce nulle part bien réel, à travers deux saisons, le printemps où les tensions sont palpables mais où il était encore possible de vivre sans être horrifié, et l’hiver où le sang a coulé ? Comment faire éprouver aux visiteurs ce que l’artiste a enduré et en même temps, ne jamais sombrer dans l’horreur de cette tragédie en surenchérissant dans l’exploitation de l’horreur ?

La mise en espace répond à ces questions : Vahan Soghomonian est un artiste contemporain, son regard sur le Haut Karabagh n’est pas une exposition photographique comme le plus souvent elles sont. Ici, trois images de grand format sont collées sur le mur, elles se répondent, une centrale intitulée Panorama, Stepanakert, Artsahk, Hiver 2020 bercée par la lumière naturelle et deux autres en dialogue frontal, Cordée, bord de route, Hiver 2020 et Arche espérante, Printemps 2019. Ces trois photographies et leurs légendes symbolisent ce que peut signifier la fable proposée par Vahan Soghomonian.

Puis, 18 stations sont installées dans l’espace du Centre d’art de Saint Fons. Le terme station convient et renvoie aux choix du vocabulaire montagnard qu’a choisi de convoquer dans ses titres l’artiste (vocabulaire approprié pour le Caucase, cette terre en particulier /pour rappel ce que représente le Mont Ararat pour les Arméniens -sentiment immortalisé dans le dernier plan du film Nous (1969) par Artavazd Pelechian- ). Si les légendes de chaque élément de l’installation sont méticuleusement évocatrices (un titre très court en deux ou trois mots spécifiques de la prose poétique de l’artiste, le lieu et la saison), elles sont présentes uniquement sur le dépliant remis à l’entrée, permettant ainsi de déambuler sans boussole, et de prendre connaissance de ce qui a été regardé, une fois atteint le belvédère pour contempler, méditer et réfléchir.

Vahan Soghomonian raconte sa fable, certes avec des photographies prises lors de son périple, mais à sa manière, avec son style d’artiste à la pratique pluridisciplinaire comme il l’a montré avec Fytolit skholè 5 en 2017 ou plus récemment, son installation sonore Org-rchbrn à Rochebrune. A l’hiver 2020, comme pour signaler qu’il était toujours sauf et pour témoigner de ce qu’il voyait, l’artiste envoyait assez régulièrement des images sur les réseaux sociaux. Souvent, il postait deux images que le réseau social accolait à l’horizontal, et en faisait par conséquent, un diptyque, créant ainsi des rapprochements littéraux et métaphoriques simultanément.

Des réminiscences de ce procédé de montage apparaissent dans l’installation à travers 7 stations où deux images sont accolées cette fois-ci à la verticale, et sont rassemblées en binôme sous une seule légende. L’effet est potentiellement riche en significations. Par exemple, les photographies d’une maison en feu et d’un buisson sont regroupées sous la légende « Justice humaine, territoire perdu », avec toutes les significations que peuvent induire la juxtaposition de ces deux images (bien sûr, le Buisson ardent vient immédiatement à l’esprit …). Avec la commissaire et l’équipe du Centre d’art de Saint Fons, Vahan Soghomonian a fait « tomber » du faux plafond des cimaises « bricolées » pouvant évoquer le caractère précaire et fragile de ce territoire, sur lesquelles les photographies imprimées sur bâche flottent. Contre un mur, dans un angle : une pierre sur le haut d’un tas de café posé sur un tapis. Comme un rappel de la vision cosmique de l’artiste, de ses intérêts pour les rapports Homme-Nature, marqués notamment par les rituels des indiens au Mexique, lors d’un de ses voyages 6. Et cet infra-mince, ce petit monticule posé contre un mur (avec les trois grands « papiers peints », il est le seul à s’adosser contre un mur, contrairement aux nombreuses photographies suspendues dans le centre d’art), condense peut-être la spécificité de Vahan Soghomonian dans son rapport à l’environnement, aux terriens et au cosmos.

S’il lance effectivement une balise de détresse de ce territoire vers l’Humanité, cette alarme universelle n’est pas pour autant que noirceur. Des éclats d’espoirs surgissent comme Bitume cosmique, Erevan, printemps 2018 (toutefois la légende témoigne qu’elle n’est pas du Haut Karabagh et a été prise deux ans avant ce conflit meurtrier), ou Rose brumeuse, Cildiran, Artsakh, Hiver 2020 (une rose, symbole de beauté, résistant tant bien que mal au chaos des hommes). La rose est une plante de la famille des ronces : si sa fleur est belle, ses épines sur sa tige peuvent la protéger. Ces roses survivent seules au milieu d’un dédale de tuyaux d’une serre cassée, apparaissant dans la brume comme un mirage. Est-ce un symbole de plus dans l’énigme de cette fable ? 
Si des indices montrent bien que ces photographies ne viennent pas de nulle part... Vahan Soghomonian souhaite laisser l’imaginaire du visiteur approcher son univers et sa sensibilité exprimée si possible avec une certaine justesse à travers un sujet des plus graves, pour tendre vers un universel pacifiste (utopique sans doute).

Et si vous voulez poursuivre le voyage vers ce territoire, L’artiste vous ouvre la porte d’une Lada pour parcourir avec lui les villages et les paysages qu’il a traversés en 2018-2019, soit deux ans avant d’y retourner. Avant de regarder la vidéo Djampa Ka (durée 120mn), n’hésitez pas à prendre une pilule de nautamine pour éviter d’avoir le mal au cœur.

« Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible. » 7 Vahan Soghomononian se réfère à René Daumal, sa vie singulière, son approche existentielle et son dernier livre inachevé Le mont analogue (publié en 1952) dans sa vidéo (et une autre vidéo, elle, visible sur son site internet, Champ6-019). En sortant de la projection, une seule photographie en noir et blanc rappelle que ce temps-là n’est plus, ou est en voie de disparition.

1 Calouste Salis Gulbenkian, "La Transcaucasie et la péninsule d’Apchéron, Page 1 Hachette Paris 1891 2 Une fable recourt le plus souvent à des animaux pour raconter une leçon de vie aux humains. 3 130 avant Calouste S. Gulbenkian racontait son épopée à travers ces montagnes et dans le chapitre VI il traversait ce territoire. "Derrière nous disparaissent bientôt les sommets déchiquetés du Karabagh resplendissants sous leur couronne de neige". P. 142 Op. cit. 4 "Celui qu’on attendait", film de Serge Avedikian, 2016. 5 Aby Warburg "le rituel du serpent.Art et anthropologie" Paris Macula, La littérature artistique, 2003. Les rituels des indiens l’ont beaucoup marqué lors de son périple mexicain. 6 ren Daumal "Le Mont Analogue, récit véridique" Préface de Roland de Renéville, postface de Véra Daumal, réédition. Allia Paris 2020.

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++INFO++

Exposition du 7 au 29 mai 2021, LE CAP, centre d’arts plastiques de Saint Fons
Finissage le 29 mars à 14h, concert – performance de l’artiste avec trois musiciens de l’Ecole de musique de Saint-Fons - présentation du livre d’artiste associant prose poétique et photographies à l’occasion de l’exposition.

site internet de l’artiste : vwww.vahansoghomonian.net

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