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L’épiphanie non-figurative de Sylvie Sarrazin.

Peintures de Sylvie Sarrazin.

Il est curieux de constater qu’une part de l’actuelle peinture non-figurative, au lieu de continuer à défaire les présupposés formels et sensoriels du passé, travaille bien plus sur ce qui ne cesse pas de subsister dans la dimension picturale et sa perception intime par le regard. En ce sens, il ne s’agit plus pour elle de supprimer l’ordre formel ancien, mais de faire vibrer la dimension sensible du voir, à la fois intérieure et matérielle, là où il n’y a plus de convention figurative possible, ni attendue. Une telle peinture s’efforce plutôt de nous faire entrevoir l’épiphanie sensible de la peinture dans sa réalité à la fois presque matérielle et presque spirituelle. Un réalisme du sensible en est ici comme la visée préservée.

Voir en ligne : www.sylvie-sarrazin.com/

De la peinture de Sylvie Sarrazin, on peut dire qu’elle relève d’un tel réalisme sensible, d’une poétique concrète de la sensibilité et du regard, fidèle en cela au précepte latin d’Horace ut pictura poesis. Sa peinture apparaît comme un acte d’intériorisation de la perception, de nature presque spirituelle et musicale. La vision des ses toiles nous fait entrer dans un univers sensible qui paraît habiter et environner la perception et l’esprit du spectateur de façon intime et subjective, bien qu’il s’étende comme un horizon du monde et donc aussi comme une sorte de paysage abstrait diffus. Pour la caractériser, elle pourrait appartenir à ce courant dit de l’impressionnisme abstrait dont on sait qu’il sut donner toute sa place et son champ propre à la forme-couleur au milieu du vingtième siècle, tout en se refusant à l’abstraction géométrique pure. Par ailleurs, son travail semble influencé par les recherches de P.Klee sur les pouvoirs évocateurs et mystérieux de la couleur mais également marqué par l’expressionnisme abstrait de la peinture américaine des années cinquante-soixante. Disons que ce sont là autant de sources possibles de son travail. Si l’on s’en tient à l’impressionnisme abstrait, les figures initiales de cette peinture abstraite de l’intériorité sensible, furent, à partir des années quarante, celles de l’Ecole Abstraite de Paris : R.Bissière, A.Manessier, J.Le Moal, J.Bazaine, où, comme l’écrit K.Ruhrberg de ce dernier, « l’impression naturelle est remplacée par un système de rapports chromatiques et formels ». Remarquons aussitôt que de tels rapports tendent à une géométrie de nature informelle, à la différence de la peinture strictement abstraite qui procède, elle, à partir de formalismes aux proportions définies. Ils ne suppriment donc pas toute appréhension intuitive liée à l’impression sensible propre au corps humain.

De l’Ecole de Paris, S.Sarrazin aurait conservé le travail sur les lignes colorées, sur les aspects graphiques fluides, bien que, chez elle, ils tendent à se réduire à la ligne-trait, à la striure, à la trame d’une grille. Ainsi, on peut croire déceler dans son travail une géométrie intérieure de formes dynamiques amples, mais c’est plutôt un jeu des forces porté par des strates chromatiques autonomes qui apparaît. Ici, la couleur, comme puissance formelle indépendante s’oppose à l’abstraction pour faire advenir un climat à la fois suspensif, détaché du monde et tout autant matériel, de nature quasi physique. Mouvements ascendants, élans, tourbillons, extensions par diffusion, flamboiements, rayonnements, opacités, animent la matière picturale. De sorte que l’espace et la lumière se déploient dans ses tableaux, parfois dans une semi-obscurité intense, comme des mouvements et des réalités matérielles et spirituelles, secrètes et profanes, graphiques et chromatiques. Ce sont des espaces colorés musicaux qui, par la puissance vibratoire des couleurs, viennent se diffuser et nous environner comme des propriétés corporelles au-delà des limites de la toile. Il en résulte qu’on perçoit peu à peu dans ses tableaux l’émergence d’une profondeur que pourtant nul effet perspectif n’appelle. Elle advient des complexités vibratoires de la couleur, des dynamiques et des statiques de la disposition, des trames distributives, à la fois composées et aléatoires du tableau. L’espace ainsi suggéré advient par des respirations successives qui émanent du tableau, de ses agencements de forces et d’harmonies.

L’originalité singulière de S.Sarrazin est qu’elle paraît être à la fois l’héritière de cette orientation intériorisée de l’impressionnisme abstrait et, tout autant, un peintre qui la met en tension, la contredit, la prolonge et la développe par d’autres biais, de nature gestuelle et objective cette fois. Elle semble avoir su intégrer à ses recherches formelles les procédés les plus radicaux de la peinture américaine où l’orientation informelle a fait surgir des modes de composition alternatifs. Il s’agit, par exemple, du recours à la trame linéaire, au jeu des lignes et du graphique ou encore à des procédés rythmiques sériels et au travail sur les champs de couleur, pensés comme des espaces chromatiques dotés de propriétés spécifiques, au colorfield painting. C’est dire qu’elle a aussi reçu l’influence directe et indirecte de peintres comme J.Pollock, C.Twombly, M.Tobey, B.Newman, M.Rothko. Le résultat en est des plus remarquables, comme si, cette fois, l’architecture formelle venait coïncider avec la musique sensible du regard. Comme si, encore, la matérialité physique de la peinture venait rencontrer la vibration spirituelle de la couleur. De la sorte, S.Sarrazin se fait l’héritière de Rothko, ce peintre qui cherchait à exprimer, à travers la puissance propre de la couleur, mesures, proportions et rythmes, cela au sein même de la matière picturale, en se refusant précisément de dématérialiser la peinture. La peinture serait alors, comme le disait le peintre Motherwell en 1944, « l’esprit se réalisant lui-même en couleur et espace », mais de façon objective par une matérialité physique, tactile, due au travail du pinceau, aux gestes de la main et du corps. 29 juin 2007

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Sarrazin Peintures Exposition les 6-7-8 juillet 2007

Atelier C01B [ 1ére allée à gauche - Rez de chaussée – au bout du jardin ] 79 rue Victor Hugo 94200 Ivry-sur-Seine Métro : ligne 7 – Station : Pierre et Marie Curie.

Sylviesarrazin@wanadoo.fr

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