Un livre de Mathieu Farcy aux éditions Loco
Voir en ligne : www.mathieufarcy.com/
Mathieu Farcy a longtemps été animateur auprès des jeunes. Les qualités humaines qu’il a pu y développer il continue de les exercer autrement dans sa pratique de la photographie négociée.
Le livre s’ouvre sur des clichés de « gueules cassées » de la première guerre mondiale dont une bande noire censure la blessure. Trois autres portraits en noir et blanc traités de même apparaissent plus contemporains, liant les destins des combattants et des victimes actuelles.Selon Lévinas une telle atteinte au visage plonge la personne dans « l’impersonnel de l’il y a ». Pour le philosophe le visage « parle » et ce visage exige qu’on lui réponde, qu’on réponde de lui.La déformation subie par un cancer de la face malgré la restauration de la chirurgie esthétique accentue ce que Lévinas évoquait comme « la pauvreté essentielle du visage ».
Mathieu Farcy propose à ces volontaires de faire leur portrait différé en échangeant avec eux à propos de sa pratique de la photographie et de l’écriture. Dès la couverture un caviardé ne laisse que la formule titre manuscrite par l’auteur lui-même. Cet aveu est issu d’un des nombreux témoignages dont la reprise manuscrite rend la communication plus intime. Bien que rédigés en capitales le déchiffrage de ces messages ralentit notre découverte des étapes de cette reconquête de l’image de soi. Le façonnage du livre lui-même avec ces pages doublées à ouvrir suppose aussi un temps plus long. A l’intérieur sont reproduits des images plus secrètes ou d’autres écritures manuscrites, celles des patients en minuscules.
Quelques portraits d’identité pré-opération structurent le livre , associés au récit de la rencontre du photographe avec ses modèles et du rapport sur leur aventure médicale et leur traumatisme. Toutes sortes de stratégies de prises de vue plus respectueuses et empathiques les unes que les autres sont à l’oeuvre. Portraits de dos ou de 3/4 profil jouent aussi avec des espaces d’ombre enrobants. Un miroir reste vide de toute présence, comme un portrait-fantôme tandis qu’un autre , recouvert d’une longue chevelure ne laisse visible qu’un oeil au regard vif. Différents états de flou étagent des formes variées de présence. Quelques images noir et blanc en 24X36 sont le fait d’un des participants qui documente ainsi les changements atmosphériques de ses ressentis. Mathieu Farcy lui maitrise toute sa gamme couleurs où dominent les couleurs chaudes.
Plusieurs plans serrés sur des gestes de mains présentent objets intimes ou attitudes de résilience. A certains portraits sont ajoutés traits dessinés ou masquage peints. D’autres masques physiques sont arborés dans des performances minimales où le ludique vient au secours de l’identitaire.
Un dernier portrait frontal celui d’une jeune femme au visage orné de fleurs rappelle que cette aventure fut collective et l’acceptation dont il témoigne montre la réussite humaine de ce projet de soin partagé d’une grande force visuelle et sensible.