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ID ALcorp : la vie, plus loin.

ID ALcorp
ID ALcorp
ID ALcorp est une plongée dans un monde autre ou dans un futur possible. Du 2 au 11 novembre 2015, Edwin&Melvyn, jeune duo d’artistes, ont investi les murs de la galerie du Huit, à Paris, pour y créer un environnement immersif. Férus de science-fiction, et hautement intéressés par les questions bioéthique et par la place de la technologie dans la vie humaine, ils ont pendant une semaine invité les curieux à intégrer le monde de l’entreprise ID ALcorp...

Voir en ligne : http://www.edwin-melvyn.com

Edwin&Melvyn sont frères avant d’être collaborateurs. Le premier a été formé à la Rietveld Academy d’Amsterdam, le second à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Refusant de cantonner le spectateur à un simple rôle d’observateur, ils abandonnent rapidement leur pratique de vidéastes et de photo-graphes. Ils créent depuis des installations totales, transformant l’intégralité des espaces qu’ils investissent en de véritables hétérotopies, espaces d’illusion issus de fictions dont ils ont minutieusement pensé les scenarii.

Pour l’installation ID ALcorp à la galerie Le HUIT, le visiteur pénètre dans ce qui pourrait être une chambre d’opération – ou une chambre mortuaire –. Des affiches permettent d’identifier rapidement cet endroit fictif : partout est visible le logo d’une entreprise nommée ID ALcorp, spécialisée dans le clonage humain. Des caissons métalliques, suspendus aux murs, constituent le premier indice du service spécifique de l’entreprise dans lequel nous nous trouvons. Chacun d’entre eux est accompagné d’une étiquette laborantine permettant, en milieu médical, une identification rapide des corps. Les caissons se font cercueils, on croit entrer dans une morgue. Des mannequins de plâtre, à la peau couleur chair, sont dispersés dans l’espace d’exposition. Nous voici face aux clones défectueux du service « Réaffectations » de la multinationale.

Le spectateur a ici un rôle à tenir ; des textes accrochés au mur expliquent clairement l’intrigue à laquelle il participe. Une offre d’emploi émise par l’entreprise ID ALcorp signale un processus de recrutement en cours. Le protocole suivi n’est pas spécifié : tout visiteur foulant le sol de la galerie accepte d’endosser le rôle d’un postulant à un entretien d’embauche aux règles inconnues. Candidat involontaire, il apprend par une voix off et grâce au message véhiculé par des affiches qu’il sera observé tout au long de sa performance par des caméras de vidéosurveillance. Pris au piège de la fiction, il ne peut s’en remettre qu’à son propre jugement pour décider de la conduite à adopter. Sous l’oeil des caméras, la condition du spectateur, potentiellement observé comme un rat de laboratoire, rappelle celle des starlettes de la télé-réalité. Les artistes ont soigneusement tissé tous les éléments d’une aventure dont chacun pourra être le héros.

La plongée dans l’imaginaire ne se restreint pas au seul espace de la galerie. Ils disséminent sur les réseaux sociaux ou dans leurs newsletters des traces de la fiction, balises permettant au spectateur de comprendre, avant l’ouverture de l’exposition, la trame du scénario auquel il prendra part. Leur sens du détail et de la mise en scène permet le conditionnement psychologique du visiteur. De sa conduite au sein de l’installation dépend la réussite de l’œuvre. En créant une page Facebook au nom de l’entreprise fictive, ils anticipent la curiosité de ceux qui pourraient avoir envie de vérifier la véracité des informations véhiculées. De même, une adresse e-mail et un numéro de téléphone permettent à qui le souhaite de prendre directement contact avec l’entreprise, afin de continuer le processus de recrutement amorcé pendant le vernissage. Sur l’affiche de l’exposition, le nom des artistes n’occupe pas la première place. Le logo d’ID ALcorp, surtout, se détache d’un fond rouge, imposant la nouvelle existence de l’entreprise rêvée. Edwin&Melvyn se cachent, humblement, derrière la fable qu’ils élaborent.

Leurs installations projettent le spectateur dans un futur imminent. L’espace fantasmagorique de la galerie Le HUIT est le fruit d’un patient travail d’investigation. De nombreux textes et entretiens rendent compte d’avancées médicales soulevant de nouvelles questions bioéthiques. L’amélioration de l’état du corps humain par l’utilisation de technologies nouvelles n’est plus une chimère : le clonage thérapeu-tique est maîtrisé et utilisé depuis 2013. ID ALcorp est le fantasme de l’aboutissement, dans un avenir proche, de travaux visant à banaliser le clonage reproductif. Elle est l’anticipation d’un rêve que le courant de pensée transhumaniste caresse depuis maintenant plus d’un demi-siècle.

Cerné par des clones défectueux, le spectateur prend la place d’un ouvrier du futur, chargé de découper des corps afin d’en extraire les parties encore fonctionnelles. Au rez-de-chaussée, des organes congelés attendent une réaffectation. Les clones, tristes rebuts d’une industrie du corps humain, sont abandonnés dans des sacs poubelles, hantant l’espace de la galerie. Malgré une apparente anesthésie des rapports humains, que suggère le remplacement d’un interlocuteur par une voix informatique, on est bien loin du monde parfait ima-giné par Aldous Huxley en 1931. Dans la rue, des tracts politiques sont disséminés sur les murs. Les slogans qui s’en détachent, signes d’une polémique en cours entre défenseurs et opposants à la pratique du clonage humain, nous plongent dans un avenir incertain, en proie aux mêmes débats que ceux soulevés aujourd’hui par l’intervention technologique dans le processus de procréation.

Chaque visiteur cherche seul les gestes qu’il croit être en droit d’effectuer. L’installation ID ALcorp, comme toutes les œuvres d’Edwin&Melvyn, revêt une dimension profondément sociologique. L’analyse des comportements observés est plutôt, pourtant, le fait des participants que celui des artistes. Les questions soulevées par la possibilité d’une réplique artificielle de la vie humaine imprègne tant la culture savante que populaire. De nombreux films de science-fiction mettent en scène des protagonistes mi-humains, mi-robots ; mi-inquiétants, mi-attachants. Si les replicants mis en scène par Ridley Scott dans Blade Runner peuvent être de véritables machines à tuer, Flash, modèle féminin d’Hubotron 400 twinX dans la série suédoise Real Humans, se fait appeler Florentine dans l’espoir de s’adapter plus facilement à la vie humaine et aspire à devenir mère.

Qu’il s’agisse d’androïdes ou de clones, ils sont les possibles d’une humanité autre, et peuplent notre imaginaire commun. La place des biotechnologies dans le secteur médical, relevant de codes déontologiques spécifiques et habituellement soumis à l’examen de commissions de spécialistes, est ici questionnée par tous. La galerie se fait forum, le débat y est encouragé. Les réactions sont aussi diverses que les opinions face à des questions n’ayant pas encore trouvé de réponses. Vite, on passe de la fiction au réel, et chacun de se poser la question enfantine « et si c’était pour de vrai ? »

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