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Hermann Nitsch, vers une pensée solaire de la peinture

Une exposition de la galerie RX

La galerie RX organise une exposition du peintre autrichien Hermann Nitsch jusqu’au 30 juillet 2020. L’artiste est né en 1938. Il est connu pour ses performances réalisées dans les années 1970 et comme cofondateur du mouvement Wiener Aktionismus (Actionnisme viennois). Il continue à défendre aujourd’hui ce mouvement artistique célèbre pour ses "actions" radicales que lui ou des artistes comme Günter Brus, Otto Muehl et Rudolf Schwarzkogler réalisaient.

Voir en ligne : http://www.galerierx.com/fr/exposit...

On a encore en mémoire les performances ritualisées durant lesquelles des personnages en robes blanches officiaient parmi des individus nus dont les corps étaient progressivement recouverts de fruits, de liquides divers (de la peinture mais aussi du sang) et d’entrailles d’animaux. C’était une orgie rouge méticuleusement organisée autour d’une scène rappelant la crucifixion. L’artiste développe à cette époque le concept Orgien-Mysterien Theater (Théâtre des Orgies et Mystères). Il vise lors de chaque performance (plus de 100 réalisées entre 1960 et 1990) à la création d’œuvres d’art totales propres à mettre en éveil tous les sens des participants et aussi ceux de spectateurs. Ces actions rappelant les happenings de Fluxus connurent un grand succès dans le milieu artistique mais furent considérées par les autorités comme blasphématoires et pornographiques. Après avoir été arrêté et condamné trois fois il s’est résolu à s’exiler quelque temps en Allemagne (Bavière).

Ce ne sont pas des reliques de cette époque mais des créations picturales plus récentes que la galerie parisienne expose en ce mois de juillet 2020. Durant toute sa carrière Hermann Nitsch a continué en parallèle à ses actions à réaliser des œuvres gestuelles où le mouvement de tout le corps et les coulées de couleur rouge (dripping) occupent une place importante. Ce procédé de jeté pictural se trouve encore en sous couche des dernières peintures exposées à Paris, mais ces traces sont visibles uniquement dans la partie basse de celles-ci. Durant de nombreuses années l’artiste expressionniste a ajouté à ses réalisations pseudo picturales divers matériaux ou objets (vêtements, mobiliers, autres toiles sur châssis). Il réussissait ainsi à faire se confronter des réalités volumiques à la fiction de l’espace pictural.

Rien de tel dans le présent accrochage, comme le précise le titre de l’exposition The shape of colour, on ne trouve ici que formes et couleurs. La première sensation en pénétrant dans la galerie est une illumination colorée à partir de surfaces savamment entremêlées. Le visiteur est capté par l’intensité des couleurs autant que par l’énergie développée dans leur mise en place. Ce rayonnement coloré est particulièrement vrai devant les œuvres les plus récentes, datant de 2019, mais l’exposition montre très bien les prémices de cette montée de la couleur à partir de fonds obscurs de la peinture telle qu’elle s’est manifestée lors la 43e action de Hermann Nitsch durant l’été 2000.

Sont réunis pour cet accrochage cinq exemplaires de cette série de peintures multicolores créées dans sa propriété le château de Prinzendorf (Basse-Autriche). Le même mode opératoire préside dans chacune d’elles : les coulées initiales ont été enduites de peinture acrylique travaillée manuellement en épaisseur. Des couleurs distinctes sont juxtaposées : différents bleus, plusieurs rouges, du vert, du jaune et des ocres. Les teintes distinctes s’affirment individuellement et se déclinent en multiples nuances générées par le travail manuel de l’artiste : tout le corps est engagé dans de grands gestes couvrants et l’interpénétration des couleurs est accompagnée par de multiples mouvements des doigts du peintre pénétrant la matière picturale. Ces grands tableaux (2 X 3 mètres), réalisés sur toile de jute, sont très vivants qu’ils soient contemplés de loin ou de près. Ils sont installés séparément dans la galerie mais on imagine très bien les voir juxtaposés puisque tous tendent à déborder latéralement les châssis, tandis que en haut et en bas des œuvres les châssis et subjectiles restent visibles. Est-ce un hommage inconscient ou assumé aux Nymphéas de Monet ?

Les débordements du cadre par le mouvement créatif rappellent aussi d’autres temps où le geste se voulait hors limite des règles permises par la société. Tandis qu’aujourd’hui le hors cadre sociétal ne fait plus scandale, le débordement symbolique peut encore garder une charge signifiante. En tous cas, contrairement aux pensées mortifères que l’artiste développait dans les performances plus anciennes, c’est une célébration assumée de la vie à laquelle il accède à partir des années 2000. Avec ce cycle, il s’est intéressé à démontrer que la vie ne consiste pas seulement en souffrance. C’est ce qu’il a lui-même déclaré dans un entretien : « sans perdre le poids substantiel de la peinture en tant que matière, j’ai voulu réintroduire la lumière de la couleur, le son de la couleur et une harmonie profonde. (...) J’ai essayé d’aller encore plus loin dans le sens de la chromatique de ma peinture. Je n’ai jamais traité aussi intensément de la couleur que dans ce cycle. Tout devenait soudainement plus lumineux, plus gai, engagé à la lumière des fleurs et du soleil. Des fleurs abondamment colorées des mois de juillet, août, en particulier des roses fraîches et des glaïeuls, étaient transportées dans l’atelier ; je me suis laissé inspirer par la splendeur de la couleur, c’était mon modèle. Il était clair que je travaillais sur un cycle de résurrection. »

C’est toujours l’action, la gestuelle corporelle et l’activité manuelle qui génèrent la pensée. Dans ces peintures solaires surtout les plus récentes, celles de 2019, le travail des doigts qui pénètre la matière picturale vient flécher le regard du visiteur. Celui-ci est ainsi invité à parcourir les circonvolutions internes du tableau par le chemin qu’il choisit sur le moment mais qui pourrait être autre dans un autre temps.

Une autre œuvre étonnante de l’artiste est installée dans la salle intermédiaire de la galerie RX à Paris : 182 créations graphiques sur papier ont été disposées sur toute la longueur d’un mur : les formats sont identiques, 29,7 x 21 cm et les encadrements de bord à bord semblables, les espacements identiques tandis que les dates de création vont de 2017 à 2020. Les interventions graphiques sur chacun de feuillets varient tant par les outils, crayon mine de plomb, crayon de couleur, pastel gras, que par l’occupation de la surface. Sur certains papiers il y a juste une intervention succincte de quelques centimètres sur le bord latéral tandis que sur d’autres presque toute la surface est recouverte, débordant même le tracé d’un cadre interne qui parfois a été ajouté. On retrouve les caractéristiques des peintures de la même période : importance de la dynamique du geste, ici essentiellement manuel, et l’expression par la couleur entre forme et informe.

L’organisation de ce mur de dessins est loin d’être anodine. À 82 ans l’artiste a tenu à présider à la mise en place de ses œuvres et particulièrement de celle-ci. Au centre des 26 rangs sont disposés les dessins les plus chargés en étendues et en couleurs tandis qu’autour un équilibre est trouvé de manière à ne créer ni zone vide ni densité concurrente. Face à cette multitude d’images individuelles le visiteur ne peut examiner la totalité des créations. Comme déjà signalé pour les peintures il doit choisir son parcours visuel tout en étant libre d’en changer autant de fois qu’il le souhaite. L’œuvre est plaisante à regarder tant pour son ensemble que pour la multitude de ses détails de chaque élément. Les performances des années 1970-1980 n’appelaient pas à la muséification, celle-ci est pourtant arrivée. La plupart des grands musées exposent des créations d’Hermann Nitsch et il existe de part le monde plusieurs musées qui lui sont entièrement consacrés. Il continue pourtant à faire évoluer ses pratiques créatives : sans perdre son énergie festive il oriente ses dessins et peintures actuelles en valorisant les productions résiduelles des temps créatifs et en abandonnant l’imaginaire mortifère qui dominait durant les actions sanguinolentes pour une pensée solaire de la genèse picturale ou graphique.

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