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Helsinki photographique ; de la tentative laborieuse de perpétuer une vogue fragile en climat subarctique

Musée de la Photo
Musée de la Photo
Jouissant depuis une dizaine d’année d’une renommée, voire d’un réel rayonnement sur la photographie contemporaine en particulier grâce à la passion intrépide du galeriste Timothy Persons, la photographie finlandaise s’est dévoilée, lors de l’édition 2009 du festival de la photographie d’Helsinki, sous un jour particulièrement triste et embruiné. Survol de la photographie contemporaine finlandaise en ce début d’année 2009, à travers trois expositions choisies : « Tense Territories » au Musée de la Photographie, « Aletheia » au Musée d’Art d’Helsinki, et Aino Kanisto à la Galerie Forsblom.

Voir en ligne : www.fmp.fi

Tense Territories

Première étape de ce parcours mi-caviar mi-morue, l’exposition « Tense Territories », en cours au Musée de la Photographie dans le cadre du Festival de la Photographie d’Helsinki. Perdu dans un quartier industriel enneigé fort séduisant pour les affictionados de la photographie objective, cette exposition présente, dans une grande salle à la scénographie plus qu’approximative, les travaux de quatre jeunes artistes travaillant sur la très originale thématique des « relations entre l’individu et son environnement ».

Première installation de l’exposition, celle de la finlandaise Sini Pelkki. Intitulé « Statue », elle se compose d’une video de 4 minutes jouée en boucle dans une salle semi-ouverte, et distillant une musique répétitive tintinabuliste non signée qui, malheureusement, imbibera le reste de l’exposition. Constituée d’images fixes se succédant d’une manière saccadée très arty, évoquant à la fois l’œuvre d’une groupie de Chris Marker et l’effet projectionniste de Super 8 enrayée, la vidéo présente des images d’une scène finnoise pittoresque (un lac enneigé) par détails, pour se clore sur l’image d’un personnage en position statuaire. Accompagnée d’un texte laborieux sur le caractère jamais-vraiment-naturel de la nature, cette vidéo révèle, étrangement, la confusion souvent observée dans mes promenades au sein de la Taik, éprouvée par nombre d’artistes finlandais à l’égard des paysages qui les entourent. J’ai interrogé quelques élèves de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design d’Helsinki, qui m’ont souvent fait part de leurs sentiments partagés à ce propos. A la fois entourés par des paysages lacustres et forestiers, entourés par la mer, presque tous les résidents des grandes villes (Helsinki, Espoo, Vantaa, Tampere, Turku…) disposent d’une résidence secondaire perdue en pleine (vraie fausse) nature. Et pourtant, la sylviculture et les industries métallurgiques faisant vivre une large partie de la population finlandaise, il leur est difficile de pester contre les mesures anti-écologiques appliquées sur l’ensemble du territoire (forêts rasées, industries omniprésentes). Ce sujet à l’intitulé pénible (« Tense territories ») met toutefois en relief cette tension palpable, ce tiraillement malaisé entre la glorification de la nature sans doute héritée du Kalevala (la mythologie épique nationale) et l’art critique environment-friendly, que l’on peut notamment observer chez les membres de la fameuse Ecole d’Helsinki.

Je passe pour l’heure, pour éviter toute accusation de chauvinisme, sur le travail extrêmement intéressant du français Mohamed Bourouissa, il me semble, visible à la galerie des Filles du Calvaire à Paris, et sur celui, peu original et soporifique (ainsi présenté), de l’américaine Carrie Schneider, pour me concentrer avec une infinie stupéfaction sur la série saisissante, d’une nullité absolument totale, de Taneli Eskola, intitulée The Asphalt Gardens. Partant du principe de ville comme lieu du changement perpétuel, Eskola (né en 1958) photographie n’importe quoi (un pigeon, une cabine de téléphone, un tas de neige, une voiture) dans un style carte-postale, parfois en couleurs, parfois dans un noir-et-blanc maniéré, prétendant ainsi « révéler ces lieux devant lesquels on passe sans s’y attacher ». Et pour cause. Après quelques recherches, je m’aperçois qu’Eskola est connu en tant qu’enseignant avant tout. Peut-être y aurait-il là matière à disserter, mais je n’ai pas rencontré suffisamment d’enseignants finlandais pour me lancer dans cette entreprise.

Enfin, quelques mots s’imposent sur la série symptomatique de Sauli Sirviö (né en 1980, vivant à Turku, grande ville la plus proche d’Helsinki), qui, et je m’en excuse, sera sacrifié pour l’exemple – la série qu’il présente étant une sorte d’avatar d’un style foisonnant sur les communautés photographies online : le larryclarkisme mou. Discipline qui étrangement rencontre un succès fulgurant lorsque tous les éléments qui la fondent sont scrupuleusement réunis. La présentation anonyme du travail de Sirviö introduit cette série comme un journal des jours et nuits ultra-subversifs de ce dernier (comprendre : ne pas aller à l’école et boire de la bière à la place, faire des tags sur les vitres des trains, manger des hamburgers cochonemment, faire des bras d’honneur avec une casquette à l’envers et escalader des grilles – holala), photographiés « dans un style journal intime » (pour reprendre le dossier de presse). Singeant des postures ayant marqué certaines des plus célèbres photographies du Tulsa de Larry Clark (l’authenticité, la fureur et la classe en moins), juxtaposant dans des formats systématiquement uniques (un polaroïd, un poster, un tirage contre-collé, une série de minuscules tirages, etc.) des photos prises comme à l’aveuglette afin de révéler l’urgence de l’instant, la brutalité animale d’un artiste libre et sauvage, photographiant des sujets accentuant leur état d’ivresse, cette série exaspère par son conformisme à une esthétique poltronne car balisée, douillette bien qu’elle se veuille gaillarde.

Aletheia

Seconde étape de notre promenade, l’exposition principale du Festival de la photographie d’Helsinki baptisée « Aletheia », qui propose une série de travaux réalisés par des photographes internationaux sur le thème de….

Eh bien pour le savoir, sans doute nous faudrait-il étudier l’utilisation de ce titre pour le moins interrogeant. Fait étrange, ni au cours du pompeux vernissage (avec ambassadeurs, directeurs et présidents en tous genres), ni dans les polycopiés descriptifs distribués aux visiteurs, ne fut justifié l’emploi de cette notion pourtant largement signifiante, particulièrement dans l’histoire de la philosophie de l’art et de l’esthétique. Ainsi était-on invité à lire, sur l’immense cartel introductif de l’exposition, « Aletheia, une exposition sur la représentation du temps et de l’espace, et de ce que l’on sait de l’humain. Les travaux montrés dans cette exposition explorent les fondations de l’existence et de notre réalité sociale ». Fade explication pour un public qui, pourtant érudit, leva la main en nombre à la question posée par le commissaire lors du discours d’inauguration, « Who has never heard the word Aletheia ? » – sondage étrangement non suivi d’explication.

Remettons les pendules à l’heure. Etymologiquement, le mot ἀλήθεια se construit sur la racine « lèthè », qui signifie « oublié » ou « caché », accolé à un alpha privatif. Le mot alethèia désigne ainsi la découverte ou le dévoilement, en tant que processus aboutissant à la vérité – vérité comme notion performative, agissant sur un objet non-manifeste en le mettant à jour. Extraordinairement ambigu, ce terme a été utilisé par la théologie chrétienne, puis par Heidegger (alethéia non comme vérité, mais comme tentative de saisie de la vérité), et enfin par Foucault qui en a souligné la polysémie. En bref, il faudrait alors comprendre que cette exposition tend, ou bien à souligner la fonction « révélatrice » du processus photographique (original…), ou alors à présenter des travaux qui dévoilent quelque chose des « fondations de l’existence et de la réalité sociale ». Dans les deux cas, le contenu de l’exposition semble inadéquat à ces objectifs, et constitue une fois de plus un délit de mauvaise utilisation de titre soit-disant savant, tendance fâcheuse de la photographie contemporaine. Aussi nous contenterons-nous de chercher la clef de cette pompeuse énigme titulaire du côté du simple jeu de discernement du vrai et du faux, qui rythme l’exposition via une série d’œuvres hétérogènes et inégales, presque systématiquement digitales. Un fil directeur : avec les manipulations infinies rendues possibles par la digitalisation des images (la propagande soviétique en pouvant cela dit autant dans les années 30), on ne peux attester de la vérité d’aucune œuvre, ni de la réalité d’aucun de ses sujets. Les artistes ici sélectionnés travaillent donc, d’une manière ou d’une autre, sur cette interrogation du réel au sein de leur travail.

Si les travaux de photographes très à la mode comme Pierre-superstar-Gonnord, ou très classiques comme Michael Wesely (sténopés avec des temps de pose de plusieurs années) et Marja Pirilä (photos à la chambre noire avec un jeu naïf sur l’intérieur et l’extérieur) font un peu office d’aberration au sein de cet ensemble d’images très high-tech, ils semblent être les seuls à finalement développer un travail au style visuel singulier. Les autres artistes, travaillant des expérimentations froides, profondément cérébrales, inclinent définitivement la photographie du côté de l’art conceptuel.

Largement mise en avant dans la promotion du festival, la série de la photographe Emily-Jane Major, « Marie-Claire R.I.P. » (2004-2006) propose une série d’images directement inspirée d’une série, facilement trouvable sur internet, regroupant sur tous les portraits d’identité d’une junkie réalisés par le FBI au fil des années, révélant sur son visage les ravages de la drogue, de l’alcool et du temps. Les premières images montrent une jeune femme souriante, un peu insolente, et au fil de la série, son visage se dégrade, marqué par l’âge, les cicatrices, la drogue et la tristesse. Dans une démarche très proche de celle développée par Cindy Sherman, cette série d’Emily-Jane Major, qui se contente de remettre en scène une image « réelle » existante, ne fait qu’interroger l’authenticité du portrait photographique et, bien que les éloges à son propos pleuvent ces jours sur Helsinki, cette série me semble assez froide et inerte. Note personnelle – peut-être mon impression très mitigée sur ce travail est-elle due à la grande fascination que j’avais éprouvée il y a plusieurs années à la découverte de la série originale (et réelle) représentant les photographies successives de cette anonyme. La série d’EJ Major, qui n’apporte à cette première découverte qu’une dimension meta-photographique un peu faiblarde (le jeu sur la véracité du portrait), me laisse relativement de marbre. Les thèmes de la perte de l’identité ou la dégradation physique et morale étaient déjà contenus dans ces images d’origine et, corroborés par la dimension voyeuriste, les rendaient ainsi d’autant plus fascinantes qu’elles circulaient confidientiellement « sous le manteau » (virtuel).

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des photographes contemporains s’inspirent d’images glanées sur des sites internet peu recommandables pour créer de nouvelles œuvres, divisant ainsi leur réception auprès du public, souvent extraordinairement positive auprès des béotiens du web, et très désabusée auprès des navigateurs chevronnés de l’underground du worldwideweb. Dans le livre de Matthew Barney, regroupant tous les documents fondateurs et essais autour de sa série Cremaster, on pouvait par exemple trouver des photographies, incluses à titres documentaire, issues du site rotten.com (un site regroupant des images « gores » réelles, à la provenance non signalée comme telles par Barney), ayant très largement influencé l’esthétique de nombre des sculptures constitutrices des différents épisodes de la série.

A noter que la série d’EJ Major était accompagnée par un fond sonore outrageant de facilité, l’ennuyeux clic-clac d’une horloge invisible indiquant le temps qui passe, accentuant ainsi mon grand scepticisme quant à sa série.

Plus ludique et séduisante, la série Imagine Finding Me proposée par la japonaise Chino Otsuka, composée de montages intégrant ses autoportraits récents dans des images de vacances rapportées de son enfance. La photographe se retrouve ainsi posant côte-à-côte avec elle-même enfant. Revisitant comme en touriste son propre passé, intervenant, grande sœur protectrice ou camarade amusé, dans des épisodes de sa propre histoire, corrigeant les solitudes et réinvestissant des épisodes nostalgiques, Otsuka dessine en poésie l’impossible fantasme d’un retour vers un passé doré et brumeux.

Autre série étonnante, The Day Before, s’éloignant encore plus de la photographie, de Renaud-Auguste Dormeuil, déjà aperçue au Palais de Tokyo il y a 3 ans (« 5 milliards d’années »), mais ici réhabilitée en clôture de l’exposition. Reconstituant des photographies du ciel tel que l’on pouvait l’observer à la veille de grandes catastrophes (Guernica, Hiroshima, Bagdad en 91, Sarajevo en 94, etc.), cette série s’inscrit encore dans ce fantasme de possibilité de réécriture du déjà-vécu.

Kannisto

Dernière et pénible étape, l’exposition d’une figure adulée de la photographie contemporaine finlandaise, la photographe Aino Kannisto, à la galerie Forsblom d’Helsinki. Détail insignifiant, la galerie est située au premier étage d’un immeuble de collection, il faut sonner à une porte intimidante pour y pénétrer, qui est située, très précisément, entre deux autres sur lesquels sont respectivement indiquées les antithétiques mentions « Ambassade d’Haïti » et « Ambassade d’Islande ».

Née en 1973 et diplômée de la TaiK il y a dix ans, la photographe originaire d’Eespo a construit une œuvre cohérente mais uniforme, qui s’est pourtant rapidement érigée en autorité d’un style photographique local, que l’on pourrait qualifier d’autofiction féminine cafardeuse. Se mettant en scène dans des postures évoquant sommairement la dépression, l’isolation ou l’angoisse, la photographe travaille, de son propre aveu, à représenter des illusions pour parler des émotions.

Tristes pantomimes, à vingt-mille lieues de la mélancolie tragique et radicale de la plus gracieuse des suicidées (« la femme à la tête dans la cuisinière à gaz ” » dans l‘Hamletmaschine de Heiner Müller), les transparents Ophélies de carnaval d’Anio Kannisto semblent parodier des états d’âmes mélancoliques dans de lourdes mises en scène anecdotiques. Une femme allongée en cadavre sur le ventre, près de son lit ; une autre recroquevillée dans sa baignoire : une troisième perdue dans la pénombre orangée d’une chambre d’hôtel ; autant de clichés de la solitude et de l’introspection féminine, dans des lieux d’intimités matriciels qui confinent les représentations féminines dans des gynécées contemporains (chambre, salle de bains et cuisine, c’est nous et Schmidt !).

Si l’élégante composition des images sauve cette exposition de la plus grande inanité, elle demeure néanmoins, bien loin de la beauté des « peintures » d’Elina Brotherus, et plus encore de la pertinence artistique et sociale du travail de Cindy Sherman, représentative d’une photographie straight et narcissique qui, comme en témoigne cette exposition, heureusement s’essouffle.

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++INFO++


- l’exposition « Aletheia » : Meilahti Art Museum/Helsinki City Art Museum www.taidemuseo.fi

- l’exposition « Tense Territories » : The Finnish Museum of Photography - Cable Factory www.fmp.fi

- l’exposition d’Aino Kannisto : http://www.galerieforsblom.com/

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