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Giboulées d’étoiles – Sternenschauer

Evariste Richer à la Galerie Schleicher&Lange (24.1.-23.2.2008)

Evariste Richer, Nuages au iodure d'argent (2005)
Evariste Richer, Nuages au iodure d’argent (2005)
Giboulées d’étoiles – Sternenschauer

Voir en ligne : www.galerieschleicherlange.com

Jeux de mot

Le mot allemand "Sternenschauer" signifie à la fois la giboulée d’étoiles et l’astrologue. Dramatisée et gonflée à sa façon, monumentale, Anselm Kiefer appelait son exposition au Grand Palais "chute d’étoiles". Le terme "giboulée d’étoiles", bien plus modeste, s’applique parfaitement au travail de l’artiste Evariste Richer, étonnamment ignoré pendant longtemps par la scène artistique contemporaine française, et récemment apparu avec une exposition très réussie à La Galerie Noisy-le-Sec. Après sa résidence au point éphémère, c’est la galerie Schleicher&Lange, reconnue pour sa programmation pointue, qui lui a proposé une collaboration. L’artiste, qui a aujourd’hui 38 ans, a eu le temps de faire mûrir ses idées avant de les exposer et a ainsi présenté une pluie de nouvelles œuvres, toutes aussi fortes les une que les autres.

L’ordre cosmique

Prenons cette météorite collée au mur, ressemblant à l’effet qui serait produit par une pluie de grêle noire sur un champ enneigé, et dont le plan serait relevé ensuite à la verticale : cette "Médéorite" (2008) est un véritable fragment de corps céleste, à six faces perforées sur le modèle d’un dé à jouer. Cette pièce fait référence au "Grêlon Noir" (2008), un dé noir qui tournoie à la même hauteur dans la pièce principale de l’exposition, représentant l’aléatoire programmé. "Je fait ressembler le dé au grêlon par sublimation, ils ont en commun la chute, le hasard et l’impact et leur sens fusionnent ici par cristallisation des géométries.“ explique Evariste Richer. Le cercle de rotation du dé noir met en scène un rêve des mathématiciens : la quadrature du cercle. Et puis, c’est le diptyque "Les Invariants" (2008), deux triangles en contre-plaqué de même surface (494X190 cm) accrochés au mur, qui reprend ce thème – les paradoxes mathématiques du monde. Dans ce cas précis, il s’agit d’une opération qui laisse apparaître un espace vide dans un des triangles sans que pour autant la loi de Pythagore, prouvant l’invariabilité de surface de deux triangle de même dimension, en soit affectée.

Expériences sensibles

L’ensemble de son exposition n’étant qu’une partie de ses recherches artistiques, Richer investit l’espace de la galerie de façon maîtrisée en permettant au visiteur l’expérience de ce qu’il appelle des "ressemblances cosmiques". Sans être obligé de se plonger dans l’univers scientifique, le visiteur se retrouve devant chaque pièce dans un espace d’expérience lui permettant de vivre ces ressemblances. Pourtant, il faut se sensibiliser pour un telle expérience et c’était peut-être significatif de la méprise dont son oeuvre peut être l’objet, que, tout au début de la soirée de vernissage, un visiteur ait fait tomber une partie du tas de dés intitulé "Cumulonimbus Capilatus Incus" (2008). Composé de 8000 dés à jouer de 22mm, ce tas de forme cubique (42,5X42,5cm), ne tenant que par son propre équilibre, représente par sa masse – mais également par sa fragilité – le poids moyen de l’être humain.

Au-delà du Pop

Tout en posant, par le biais de son œuvre, des questions aussi précises que sans prétention, telles que : comment le monde tient-il ensemble ?, la pratique artistique d’Evariste Richer s’inscrit dans un paysage artistique en France divisé entre le flirt parfois prétentieux avec le conceptuel et la théorie et nombre d’artistes "Post-Pop" imbus des matériaux et favorisant un regard en arrière sur les formes modernes tombées en débris, tout en se faisant propulser en avant par un marché de l’art qui a le vent en poupe. Richer n’est ni un minimaliste conceptuel, ni un artiste Post-Pop. Il fait ses recherches. Et il nous montre ce qu’il y trouve comme formes. Voilà tout. Et voilà bien beaucoup. "Le Cumuloninbus à tête d’enclume est le roi des nuages, une véritable usine à grêle. Des scientifiques, en modifiant le temps artificiellement, font éclater ces nuages chargés et mesurent l’impact des grêlons sur des plaques de polystyrène conçues exclusivement à cette fin...“ On sent l’enthousiasme quand Evariste Richer explique ces détails. Sur ces plaques apparaît, après que l’on ait appliqué de l’encre d’imprimerie, une constellation d’étoiles. Pour Richer, il s’agit d’une analogie entre microcosme et macrocosme, à laquelle il a donné forme avec l’œuvre "énergie cinétique" (2005), un mur fait de ces plaques au Centre d’art "La Galerie" à Noisy-le-Sec. C’est le ciel étoilé qui nous est tombé sur la tête.

Jeux modernes

Bien entendu, Richer ne trouve pas des formes vierges en faisant ses recherches dans l’univers scientifique ou architectural. Son œuvre est imprégnée de l’époque moderne, de l’art abstrait aussi bien que de l’œuvre corbusienne. Bientôt il fera partie d’une exposition intitulée "Ultramoderne" á la Passerelle,de Brest, qui posera exactement cette question d’influence, d’analyse et de remaniement de l’art moderne après la première guerre mondiale par les artistes d’aujourd’hui. Avec son travail, Richer cherche la pente sur laquelle les phénomènes naturels, les mathématiques et les charges symboliques et visuelles se mettent à glisser.

C’est la série "Nuages au iodure d’argent" (2005) qui fait comprendre que ce glissement fait ressurgir des liens oubliés mais néanmoins présents dans l’inconscient visuel du quotidien, gardés par cette fameuse "Ninfa moderna" dont parlait Georges Didi-Huberman dans son ouvrage du même titre par rapport à Aby Warburg. Il s’agit de ces daguerréotypes des plaques de cuivre qui ont été photosensibilisés par du iodure d’argent. Ils montrent l’image d’un nuage spécifique : le Cumulonimbus Capillatus Incus. Ce même iodure d’argent sert, dans la pratique agronomique, à faire pleuvoir les nuages. Le monde tel que nous le voyons nous pleut dessus, nous enrobe d’images et de symboles. Dans cette giboulée d’images, les œuvres de Richer ressemblent à cet arc de pierres surplombant un portail dont l’auteur allemand Heinrich von Kleist parlait, il y a plus que 200 ans, dans une lettre à sa fiancée : "Il tient car ses pierres cherchent à tomber tous à la fois." Pour l’auteur, cela signifiait "une consolation réconfortante de façon indescriptible", car par cet arc de portail il tirait l’espoir "de me tenir moi-même aussi quand tous me font chuter."

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