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Françoise Pétrovitch au Musée de la Chasse et de la Nature

Les vaniteś, Françoise Pétrovitch, lavis d'encre sur papier, 2009. 160x120 cm.
Les  vaniteś,  Françoise  Pétrovitch,  lavis  d’encre  sur  papier,  2009.  160x120  cm.  
Hervé Plumet/courtesy Galerie RX
Françoise Pétrovitch s’insinue avec élégance dans les salons du Musée de la Chasse et de la Nature. Discrètes, subtiles et intelligentes, les qualités de ses interventions se mesurent à l’aune des travaux préparatoires : deux ans de repérages et de collaboration avec la conservation du musée.

Voir en ligne : www.chassenature.org

Ricochets et échos.

Les hôtels de Mongelas et de Guénégaud dont la réunion constitue le Musée de la Chasse et de la Nature sont le lieu, depuis quelques années, d’expositions confrontant avec intelligence l’art contemporain, les collections permanentes du musée et les fastueux décors XVIIème et XVIIIème. Françoise Petrovitch y a été invitée et pour une bonne raison, elle présente toutes les qualités pour tenir salon : traits d’humour, mélancolie, rire frais de l’enfance, sourire esquissé de l’adulte s’oubliant dans ses souvenirs, capacité à discourir avec légèreté de la mort et avec gravité de la vie. Dans cette collaboration, il n’y a pas un faux pli ou alors il est voulu. Pour arriver à ses fins, elle se saisit des outils et matières traditionnels de l’artiste jusqu’au XIXème siècle, ils sont empruntés à cette même nature, dont la notion est changeante, c’est connu, et qui ne se laisse guère enfermer dans une définition trop étroite. Elle utilise donc les pigments, la terre – argile et kaolin – et le verre. Elle a collaboré avec des artisans d’art, un choix judicieux pour répondre à une exposition qui se tient dans un musée consacré à la chasse et à la nature.

Une première salle à dominante rouge - rouge comme l’intérieur de la bête, le sang ou le petit chaperon - montre un montage vidéo (« Le Loup et le loup », 2011) des dessins de l’artiste : la tendresse ambivalente de l’enfant pour le monde animal, le jeu, le cache-cache entre la proie et le chasseur, autant de notions interchangeables chez Pétrovitch. La course aussi, tout à la fois celle des sentiments, de la vie et de la meute. C’est l’emballement du cœur soutenu par un fond sonore fusionnant la course d’un cheval au galop, la rythmique aiguë de ses fers sur le pavé et la pétarade d’un moteur à deux temps. Le tout vient transformer la cage thoracique du spectateur en caisse de résonance. Souvenirs de la jeunesse, plaisir de chasser puis d’être la proie ou, tout du moins, de le feindre, le temps d’un jeu. Deux adolescents entament une danse, qui, on le devine, ne sera pas la dernière. Premiers émois, arrière goût ferreux du sang qui vient battre aux tempes, peur primale de la déclaration, cerveau reptilien activé sans qu’il en ait reçu l’ordre. Pétrovitch nous invite à une drôle chasse et à une étrange cueillette.

Dans la salle consacrée aux expositions temporaires, le spectateur se trouve face à de grands portraits aux dilutions maîtrisées (« Les Vanités », 2009-2011). Les jus viennent dessiner des couples étranges, des siamois monstrueux où des têtes d’animaux viennent se greffer sur celles de jeunes enfants. C’est beau comme un cabinet de curiosités, cela donne envie de se perdre dans l’harmonie parfaite des couleurs, dans l’intensité vibrante des rouges et des orangés. Les héros des fables semblent convoquer pour une inquiétante réunion. C’est le monde de l’enfance sans le lavis de la mémoire ; la part sombre du conte nous est alors montrée en pleine lumière. Savoir-faire.

A l’étage, la beauté plastique des interventions de l’artiste vient désordonner le style du Grand Siècle. Petrovitch apporte une forme de fraîcheur, un déséquilibre, qui vient étonnamment équilibrer ce trop-plein de régularité dans l’ornement. Car tout est symétrie dans le décor ces deux hôtels particuliers : les motifs ornementaux des manteaux de cheminées, ceux des tapisseries en cuir embossés de Cordoue, les entrelacs répétés des tissus muraux ou les sculptures ornant les cadres dorés. Ils viennent signifier une nature maîtrisée, celle du XVIIème, tirée au cordeau, égale de part et d’autre et se reflétant en des proportions parfaites. Pétrovitch vient troubler ce foisonnement d’harmonie et de contrôle par des intrusions par moment aussi discrètes qu’efficaces. Le visiteur venu pour les collections permanentes est par moment atteint de berlue. A-t-il bien vu cette sage petite fille en céramique assise sur une console ornée ? Elle surveille d’un air distrait les armoires présentant l’arsenal et attend de jouer avec les poires à poudre. Plus loin, une autre l’attend ; elle a perdu la tête. Le glacis des vernis sur les pièces en céramique, les longues pampilles de lustres macabres - de l’amour en cage, mon ami -, la fragilité brillante d’animaux ou de membres du corps humain en verre soufflé, répondent au mat des dorures et aux lumières étouffées des tentures. Les « Cages » (2010-2011) sont une invitation à un émerveillement sensuel. Mais combien de fois faudra-t-il le répéter ? Les sens comme outils appréhension du monde, ça à tout du miel au départ puis ça tourne, presque fatalement, à l’âcre. « Ne bouge pas poupée » (2008), ça va finir par se calmer. On est tous fragile même dans nos velléités de sagesse. De cette Athéna translucide, la Nike, petite victoire ailée habituellement dans la main droite de la déesse, a dégringolé d’un membre absent et a pris la forme d’un chat…

Ce travail de confiance avec différents corps de métiers de l’artisanat d’art montre une collaboration réussie, enrichie des savoir-faire de chacun. A l’instar de la chasse et des raffinements de sa mise en scène, la beauté des pièces ferait presqu’oublier que tout acte d’artisanat commence par un acte de violence. Le résultat dissimule la difficulté physique nécessaire, à l’origine, pour extraire l’argile des céramiques ou pour souffler le verre dans une chaleur intenable. Même les fleurs de cardère, posées sur les assises des sièges et signifiant l’interdiction de s’asseoir, jouent involontairement le jeu. Couvertes de piquant crochus, elles servaient à peigner – à carder en l’occurrence – les tissus à l’état brut pour les rendre le plus soyeux possible. Le travail de Pétrovitch repose sur cette double lecture. On débute en lumière avant de rejoindre le plus sombre.

Moquer le ridicule : de l’humour dans l’art (de la chasse)

Par moment bien camouflé, cet humour n’est pas toujours dans le camp attendu. Le Grand Siècle et ceux qui suivirent eurent des manières qui, avec le recul, sont par moment hilarantes ; citons le combat de chats dans un décor d’une préciosité rare - quitte à se battre autant le faire au milieu d’aiguières -, plus loin un fusil pliable présenté dans sa vitrine avec le canon à 45° ou cette tête d’hippopotame empaillée en ornement de salon… Pétrovitch répond à cet « art de vivre » en venant le moquer avec subtilité. Dans le salon bleu ou celui dit « de Compagnie », la mort est ensevelie sous un fatras de raffinements : commode tombeau, natures mortes, portraits de jeunes gens élégants en chasseur… Petrovitch vient l’orner à sa manière. Un lièvre en buste – étonnant trophée bleu - nargue le portrait de Jean-Baptiste Santerre en chasseur. A moins qu’il ne veille (« Sentinelle bleu de Prusse », 2011). Dans les vitrines abritant une collection de boîtes en porcelaine, elle glisse un drôle de plongeur cherchant à s’échapper du décor (« Le plongeur », 2008) et dissimule, dans l’arsenal, des pistolets en céramique (« Pistolets », 2006). Plus loin, dans la salle des trophées, sous l’œil brillant du guépard des neiges, un jeune faon est captif d’une vitrine. Il a l’œil perdu du jeune animal traqué, mat et rond. Plus vrai que nature.

Au dernier étage, dans les combles de l’hôtel particulier, un lavis d’encre montre une petite fille (« Féminin-masculin », 2009). L’étrangeté de l’expression - résignée ou sûre d’elle ? - nous laisse sans réponse : dépose-t-elle les armes ou va-t’elle s’en saisir ? Avant de partir, n’oubliez-pas de regarder à nouveau cette brassée de fleurs géantes qui vient orner la cour d’honneur. Elles sont bleues comme le souvenir.

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++INFO++

Françoise Pétrovitch au Musée de la Chasse et de la Nature

Du 2 septembre 2011 au 8 janvier 2012 Musée de la Chasse et de la Nature 62, rue des Archives – 75003 Paris de 11 heures à 18 heures tous les jours sauf les lundis et jours fériés Tarif plein : 6€/T. réduit : 4,50€ T. : 01.53.01.92.40

musee@chassenature.org

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