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Entretien avec Alexandre Rolla, à propos de son livre Un voyage avec Courbet

Alexandre Rolla est historien et critique d’art, poète, essayiste et commissaire d’expositions. "Sur le liseré des commissures, suivi de Les pays désolés, Un voyage avec Courbet" est son dernier ouvrage publié aux Editions la Clé à molette.

Voir en ligne : http://lacleamolette.fr/

Florence Andoka Votre récit a quelque chose d’initiatique, on a le sentiment que comme Ulysse vous parcourez le monde à la recherche de l’origine ? La publication de votre livre signe-t-elle un retour au pays natal ?

Alexandre Rolla Oui et non. L’idée de départ était justement de quitter ce pays pour aller voir le monde et c’est ce dernier qui, avec un effet boomerang m’a renvoyé à mon point de départ. Sans doute était-ce un désir inconscient de ma part, où alors n’étais-je pas tout à fait prêt à partir… Qu’importe. Il s’est installé une sorte de va-et-vient entre l’ici et l’ailleurs qui a permis de construire le livre et de lui donner sa tonalité et peut-être aussi son ambiguïté.

F.A. Si les voyages forment la jeunesse selon la formule de Montaigne, vous citez des écrivains qui refusent le voyage au sens propre, je pense notamment aux voyages immobiles de Matthieu Messagier, au pays imaginaire de Trêlles. Qu’est-ce que vous apporte le déplacement physique ? Qu’y a-t-il à voir au dehors ?

A.R. Le voyage est une question centrale du livre : qu’est-ce que la voyage ? Comment voyage-t-on ? Que signifie se déplacer ? Est-ce une question physique ou spirituelle ? Le livre s’attache surtout à cette question spirituelle, la mobilité de l’esprit et celle du regard. Le déplacement physique est abordé, mais surtout face à des situations climatiques, le rapport à la petitesse ou l’immensité. La quête est plus celle d’une rassurance que de l’aventure, c’est le connu que je cherche à capter dans l’ailleurs plutôt que l’inconnu, l’occasion sans doute d’envisager d’autres voyages…

F.A. L’expérience esthétique pour vous est-elle nécessairement attachée à la présence de l’œuvre d’art, n’y a-t-il pas des œuvres qui peuvent nous être intime sans que l’on en fasse l’expérience hors du livre ? Qu’offre la présence que n’offre pas la représentation ?

A.R. Cette expérience existe et je dirais que c’est vers elle que tend ma quête aujourd’hui, déplacer les territoires de la contemplation, passer de ceux de l’art à ceux de l’expérience directe, c’est un peu le sens de la dernière partie du livre : Les pays désolés, une volonté de continuer le voyage dans une relation plus directe avec le réel, même si, la peinture, comme souvent me rattrape à la fin. Je suis historien de l’art de formation et pour moi, passer par l’expérience de l’œuvre c’est une manière de mieux comprendre le monde.

F.A. Les écrivains marcheurs, les artistes marcheurs, font désormais légion, qu’en est-il alors du paysage quand le corps aussi est en mouvement ?

A.R. En mouvement ou immobile, pour moi c’est la même chose, la notion de paysage est une notion culturelle et artistique et c’est finalement plus celui ou celle qui le perçoit qui devient alors lui-même paysage. Que ce soit dans la stabilité ou l’agitation, la vitesse ou la lenteur, pour moi, c’est pareil et je crois que c’est ce que cherche à dire ce livre, c’est que ce que l’on cherche au fond, c’est soi-même, dans la sérénité ou dans la fuite. Le monde ne serait plus qu’un miroir dont les différents tains pourraient nous aider à en savoir plus sur nous-même.

F.A. Si le paysage est d’abord dans votre ouvrage une notion picturale, qu’en est-il de la relation que vous esquissez entre paysage et photographie ?

A.R. La relation qu’entretient la photographie au paysage est ambiguë. L’image de toute façon est ambiguë. C’est cela que j’essaie de mettre en jeu dans ce texte. Que signifie voir des pays auxquels on est habitué ? Que signifie en voir d’autres, inconnus ? La mer, la montagne, l’océan… C’est toute la question qui se pose dès le début du livre, si je vois (en photo ou en peinture) une « image » de mon pays superposée à un autre, comme la vallée de Loue chère à Courbet à New York, que produit ce télescopage et comment peut-il m’aider à mieux comprendre dans une même dynamique ce que je connais et ce que je ne connais pas. Là est la question, et la photographie, dans sa rapidité et sa simplicité technique (surtout à l’ère numérique) permet de créer une encyclopédie des images du monde, d’agrandir le champ des possibles, de brouiller les pistes et de renouveler, à l’envie, toutes ces questions.

F.A. Lorsque vous évoquez l’œuvre de Courbet, c’est surtout pour sa relation avec la nature, mais qu’en est-il des corps ? Comme vous j’ai grandi avec L’Hallali du cerf au musée des Beaux-arts de Besançon, et pourtant lorsque je pense à Courbet, c’est d’abord aux chairs, à cette défaite du corps, à ces trognes malmenées, à la mort qui est partout à l’œuvre dans la viande ?

A.R. Dans ce livre, j’ai surtout pensé à Courbet lui-même. Je pense que son propre corps, sa propre chair s’est fondue dans le pays qu’il a souhaité représenter, les hommes, les femmes et les âmes dont il a voulu parler. Je pense que c’est en se fondant dans le paysage qui l’a vu naître qu’il a su et pu donner une dimension universelle à tous les êtres dont il raconte les vies et les souffrances. C’est en devenant le pays, en devenant la roche, le ruisseau, l’arbre ou le cerf qu’il embrasse et enlace la vie qui sourd derrière et dont il est le témoin.

F.A. Vos recherches autour de l’œuvre de Courbet, vous ont-elles conduit à d’autres peintres, d’autres paysagistes ?

A.R. C’est plutôt l’inverse, je crois. Cela fait de longues années que je m’intéresse au paysage et à son histoire : les pionniers, le paysage classique ou idéal, la singularité de la peinture anglaise des XVIII et XIXième siècle, plus près de nous la photographie ou l’expérience de la marche et ce n’est finalement qu’au bout de cette course, de cet apprentissage que je suis revenu à Courbet, un artiste universel, certes, mais un artiste qui a transformé mon pays (le même que le sien) en paysage. C’est finalement une évidence tardive, mais ce pays, c’est également le premier que j’ai moi aussi transformé en paysage par l’expérience directe que j’ai pu en faire, et ce, dès mon plus jeune âge. Une manière pour moi, finalement d’aller le plus profondément au cœur de cette question.

F.A. Vous évoquez Matthieu Messagier, la Beat Generation ou encore Michel Houellebecq, pourtant la langue que vous déployez est proche de la phénoménologie, je pense à Yves Bonnefoy, à Georges Didi-Huberman et surtout à Henri Maldiney dans le champ de l’esthétique. Qu’est-ce qui vous inspire du point de vue du style ?

A.R. Je crois que je ne me pose pas vraiment cette question. Plutôt que de style, je parlerais d’écriture, ou d’écritures. C’est cela qui m’intéresse vraiment, la relation entre les différentes formes de l’écriture : historique, critique, philosophie ou poétique, plastique même. Ce que je cherche, c’est une voie intermédiaire qui pourrait passer de l’une à l’autre facilement, du récit au poème, de la description à l’épure sans avoir à choisir un style. J’aime aussi particulièrement la poésie, ce qui explique peut-être mon goût pour les écrivains poètes comme Houellebecq ou Bonnefoy que vous évoquez.

F.A. Votre ouvrage est à la frontière de l’autofiction et de l’essai subjectif, est-ce un passage pour vous vers d’autres objets d’écriture ?

A.R. Oui, c’est un peu à la lisière ou sur le liseré pour reprendre le titre de l’ouvrage, à la frontière entre l’expérience vécue et l’expérience rêvée, entre le réel et ses représentations, entre récit, essai et autofiction. J’aimerais approfondir cette exploration et j’aimerais également me promener sur ce fil en intégrant d’autres formes de l’écriture et l’écriture romanesque en particulier, que, jusqu’à maintenant j’ai encore peu explorée.

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++INFO++
Alexandre Rolla, Sur le liseré des commissures, suivi de Les pays désolés, Un voyage avec Courbet éditions La clé à molette 13,50 euros ISBN : 979-10-91189-14 9

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