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Dominique Cousseau, L’espace bocager

Dominique Cousseau, L'espace bocager
Dominique Cousseau, L’espace bocager
Quelques hectares du bocage vendéen, une ancienne ferme d’élevage laitier qui, en son temps a revivifié une friche : « Les bretonnes, les jersiaises, les alpines, les poitevines se côtoient... pour produire du lait qui deviendra beurre, crème, fromage... / Et le temps passant, une nature non contrainte se réinstalle avec force et vigueur ». Là, Dominique Cousseau y exprime la passion de planter et d’observer, le devenir d’un territoire mental attaché aux « empreintes des paysans du bocage, des petits bordiers qui tracèrent, cernèrent des champs, des prés hauts, des prés bas, des mottines ».

Voir en ligne : https://dcousseau.jimdofree.com/

Pour le visiteur, accueilli de bienveillance douce, se manifeste alors, dans l’engagement même du regard, l’opposition entre le paysage spectacle, séparé et mis à distance de celui qui le perçoit, et le paysage participation. En promenant son regard, en le fixant sur un groupe d’arbres, un taillis, un jeu d’herbes ou une sculpture, sur l’agencement des couleurs et des masses, le visiteur, à l’écoute du récit de Dominique Cousseau, comprend qu’il n’est pas là devant un décor ; il sent peu à peu qu’il s’immerge dans un horizon où les temps de l’homme et de la nature s’enchantent et se façonnent mutuellement.

La lutte n’y est pas exclue ; elle en est même constitutive, incessante, à l’image de la Pyramide de branches de châtaigniers, arrachées, déchiquetées par le nivellement du paysage lors du remembrement. Signe d’une nécessité de veille aux strates historiques et aux équilibres environnementaux, toujours à relever. Le combat, paysager et sculptural, s’affirme politique, écologique et de voisinage pour préserver l’îlot de bocage, donner forme à une résistance fondatrice et en produire d’expressives manifestations, comme ces souches dressées contre l’horizon (Les déracinés), striées de cicatrices profondes, offrant vigoureusement leurs flancs bleuis au vent. Les sculptures, nichées dans le paysage, témoignent, interrogent (Les veilleurs, Les lames), résilient la violence faite aux forces vitales, l’indifférence à l’histoire, révoquent la coupure postulée de la culture à la nature faite au nom d’un homme s’autoproclamant préposé au progrès indéfini.

Le combat est d’abord expérience de l’espace et du paysage, des accords et des associations végétales, des formes et des couleurs (Les signifiés, Les mutants, l’eurythmie des sculptures et des végétaux enchevêtrés) dans l’attention au mouvement, au changement, aux cycles - le déjà-là et le geste d’humilité du jardinier, entre traduction et transformation -. S’entremêlent le dessein et l’inattendu, se conjuguent le faire et le laisser-faire dans un monde où le pourquoi est inadéquat.

Les sculptures de Dominique Cousseau, souvent habillées de blanc ou de bleu, n’ont pas la nature pour écrin ou piédestal. Elles sont les ponts entre l’énergie créatrice de l’imagination et le végétal, la rencontre et la synthèse de l’arbre et de la pensée : « Être dans l’arbre, oublier sa forme. / Plonger dans l’océan du feuillage. / Nager dans ses vagues. ». Le bois, orme, chêne, noyer, châtaigner, olivier…, en est le matériau de choix. Les sculptures participent de la nature tout en témoignant des contraintes, des manipulations, des formatages et des blessures que nos sociétés, tant dans leur exploitation que dans leur imaginaire, lui imposent.

L’artiste collecte alentour les souches et les arbres déracinés, les branches coupées, brisées, déchiquetées. Il les sculpte, les polit, les peint, les installe dans son bocage, en veilleurs apaisants (Les Moaïs, Les masques) de mythologies de l’ailleurs ou en témoins révoltés de la distorsion nature culture, des conflits absurdes des peuples, des exclusions et des murs de séparation (L’olivier) : « Paysage ancré de présences, / issu du passé, refaisant l’avenir, / engendré, engendrant. / Sous les yeux l’immuable se forme. / Se reforment l’existence, la résistance, / la commune connaissance, / le donné en partage à tous. ».

Aux branches mortes, passées au bleu, qui enlacent, tels des serpents annonciateurs de quelque mise en garde ou provocateurs, le feuillage et les torsades de lierre, aux arbres déracinés, couchés sur le sol, teintés de blanc, aux formes naturelles évocatrices de rêves ou de chimères (Les masques), aux Guetteurs, effilés, à « la calme détermination », bruissant de leur couleur entre la terre et le ciel, il donne la voix silencieuse des symboles d’une altérité paysagère et sociale ouvrant l’espace aux sensations d’un rapport temporel autre au vivant ; il cultive un imaginaire et une pensée de la beauté du doute et de l’attente – « […] le chiffre de la patience et la beauté de la lenteur » -, comme un émiettement des certitudes, une lucidité nouvelle de ce que « toujours la vie invente » (Gilles Clément).

L’esthétique du combat se nourrit de croisements et de rencontres, Gaston Chaissac, le Land Art, Arte Povera, Sebastião Salgado, Franz Krajcberg ; elle se modèle à la parole des anonymes, paysans contraints d’abandonner leurs terres, jeunes en rupture de société, Trabalhadores Rurais Sem Terra du Paranà, paysans de Palestine expulsés par le tracé de la frontière et la construction du mur, poilus de la Première Guerre mondiale…

Dans l’herbe, au bord d’un fossé, l’amas pyramidal, enchevêtrement de branches osseuses, desséchées, brisées, estropiées, un « coup de gueule » en hommage au père (14 Leurs années de jeunesse 18), engage, délimité par un fil rouge sang, l’espace des Gueules cassées. Le corps n’existe plus, sacrifié aux rivalités meurtrières et aux ambitions mortifères, retourné à la terre meurtrie et réduit à une tige métallique ; seuls subsistent, quelques débris de vêtements, quelques éclats de métal, et les crânes couleur boue, « Boue des Éparges, boue du Chemin des Dames, boue du Mort Homme le bien nommé... boue de Craonne », déformés, mutilés, racines et éclats de bois flétris, torturés et rongés, surmontés du casque Adrian. Dans le silence détonnant, elles questionnent l’histoire et l’horreur à jamais inutile, elles dénoncent tous les faiseurs et meneurs de guerre irresponsables.

D’un pré à l’autre, le parcours suit une allée plantée, L’Allée des Philosophes, traverse par un chemin fauché dans les hautes herbes une prairie bordée de chênes, jusqu’à une pièce d’eau. Là, d’étranges insectes aux longues pattes de bois et aux yeux globuleux teintés de bleu, défendant ce qui, dans la construction hérissée de perches, pourrait être le squelette échoué de la barque d’envahisseurs, semblent prêts à dévoiler les légendes immémoriales du bocage, invitant à une vigilance tranquille du regard et des sens à l’inattendu. Le parcours, plus intime, appelle à la méditation sur la marche d’un bassin dans le fouillis en devenir d’espèces végétales. Plus loin, dans la prairie, sous le regard interrogateur des Paysans sans terre, sous la protection sereine des Totems, une robe d’écorce grêle expose sa fragilité au temps.

Dominique Cousseau fait de ce qui l’étonne la force de sa création. Il œuvre à la révolte dans l’intimité des plantes, de la terre, du vent et de l’eau, au cœur des saisons plus amples que l’homme. Mais, il y a moins là, dans l’arbre mort, la branche brisée, la souche déterrée, la racine, une recherche formelle anthropomorphe ou celle d’une analogie évocatrice, que la métaphore du lien indéfectible qui unit la raison humaine à son animalité, à sa végétalité même. Se noue alors entre le jardinier plasticien et le visiteur une éthique alternative de la responsabilité et de nouveaux horizons d’attente. À l’écoute de l’expérience sensible de chacun de ses pas et de ses regards, du bruissement silencieux des temps végétaux et de la poétique du bocage, le visiteur s’initie, dans la quiétude de la participation, à la présence de l’imperceptible, au murmure de l’irremplaçable, au rêve de la terre.

Et puis, il y a l’atelier où prennent naissance et s’associent les formes et les doutes, le dessin, l’esquisse et le dégrossi, le rêve et la pensée de l’attente de qui advient.

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++INFO++

Dominique Cousseau, Espace bocager- 15 Le petit Moulinet, 85140 Saint-Martin-des-Noyers.

Dominique Cousseau, Opus / Locus, textes de Philippe Roy, Dominique et Annick Cousseau, Marcel Hosinger, Myriam Gillet, photographies de Dominique Cousseau, Yvonnick Jolly, Bennoit Vanoni, Jean-Claude Artaud, Françoise Challet, Solène Derien et Bruno Vanaquaire, Nantes, Éditions du Petit Véhicule, 2021,

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