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Défascination et devenir : à propos de Third Mind ou comment être artiste en 2008

Ugo Rondinone curateur au Palais de Tokyo

  • jeudi 24 janvier 2008
Third Mind 1
Third Mind 1

Voir en ligne : http://www.palaisdetokyo.com/fo3/lo...

I Promesse d’oubli

De loin la meilleure exposition jamais proposée par le Palais de Tokyo depuis sa création, Third Mind (exposition présentée par Rondinone au Palais de Tokyo) ne doit ce privilège qu’à sa cohérence, à l’unité de son propos. Car c’est, en fait, par tout ce qu’elle ne prend pas en charge qu’elle révèle, outre les carences ou les faiblesses du lieu et de tous ses programmateurs, une étrange inertie de la pensée ou plutôt « dans » la pensée de cette époque étouffante. Cette inertie est rendue efficace comme puissance d’oubli par ce qu’il faut bien appeler une soumission sans retour des « décideurs » aux évidences mortelles d’une conception de la vie guidée par la loi du plus fort. En effet, outre le fait qu’une telle loi trouve sa légitimation dans et par la bêtise comme mesure des comportements acceptables, elle occulte aussi le fait qu’être le plus fort signifie en fait simplement s’autoriser à révéler dans ce qui est une part, mais une toute petite part, de désirs inavoués et d’en jouer pour invalider les autres.

Third Mind n’était pas une exposition qui triche, en effet, mais c’était une exposition qui étouffe. Elle tentait littéralement de montrer comment l’homme habite aujourd’hui dans le monde, ou plutôt comment l’homme déçu habite au cœur de sa déception même et semble-t-il, fasciné par cette manifestation de lui-même, comment il ne peut s’en défaire. Third Minde ne cessait de dire l’homme hésitant entre signe et symbole, entre reflet et projection, entre présence massive de ses parts d’ombre et évidence de son abandon par lui-même plus encore que par un dieu mort. Third Mind disait finalement qu’il n’a d’autre salut que celui de se plier devant la puissance non du grandiose, mais de l’écrasant, seule échappatoire qui, le faisant vivre courbé, lui permet d’oublier la grandeur de sa soumission.

II Artiste autrement

Ce qui se dessine, comme en contre-jour, c’est le fait que ne furent pas présentées, cette fois comme les autres fois, des œuvres ou des démarches qui, loin des constats culpabilisants, forgeraient des armes, sensibles, visuelles, matérielles, textuelles, intellectuelles, permettant à nos cerveaux fatigués de supporter la gloire du néant et de se lever pour faire face aux figures de leur soumission, cette divinité scintillante et mortelle. Ce dont ne parlait pas Third Mind, et dont ne parle pas grand monde d’ailleurs, c’est de la mutation psychique dans laquelle nous sommes embarqués. Au mieux, on nous a montré les oripeaux d’un rêve ancien, les traces de son évanouissement et la manière dont elles nous collent à la peau. Ce qui importe, c’est de dépecer ce rêve de sa peau morbide, d’y injecter les coordonnées vitales du double délire cosmique et antéhistorique grâce auxquelles nous pourrons tracer les chemins de quelques jouissances neuves.

Le mot ART peut-il avoir d’autre sens que celui d’être l’enregistrement servile des formes officielles d’une disparition et le mot ARTISTE, lui, d’autre sens que de désigner la figure d’un croque-mort pervers se nourrissant des cadavres qu’il exhume ? Il se peut que oui ! Il se peut aussi qu’il faille oublier les mots pour que certaines fonctions puissent être réactualisées. Ainsi, c’est moins du côté du ressassement des traces de la déception qu’il faut chercher, que du côté des formes de ce qu’il faut appeler faute de mieux pour l’instant, la défascination. La défascination peut être définie comme l’ensemble des processus formels et pratiques, contextuels ou matériels par lesquels il est possible de trouver de l’air pour respirer dans un monde écrasé par la stupeur, la répétition, la duplicité et le mensonge généralisé. A ceci près que la vérité est moins à dire, comme si avec ces mots on voulait envelopper un cadavre dans le linceul formé par les aveux de ses assassins, qu’à accomplir. Il s’agit à la fois d’agir et de savoir en même temps ce qu’il faut savoir NE PAS faire. Il faut être en même temps Ulysse et Bartleby, rusé et non complice des pratiques « mafieuses » qui gouvernent le monde, le grand monde comme le petit, celui de l’art. Vœu pieux ?

Il s’agit moins de dénoncer que de construire dans chaque image un peu d’un espace tranchant qui fasse respirer le temps, que d’accomplir dans chaque intervention des gestes portés par un rêve impossible, que de faire exister dans chaque moment de l’œuvre la faille même de l’inutile, du gratuit, du hors sens, de l’improbable, du hors-jeu. Condition minimale, seuls de tels gestes sauront dessiner dans la légèreté immémoriale de l’air les formes de nos destins choisis.

Le 24 janvier 2008

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