Le "Journal de l’œil" d’Anne-Lise Broyer
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Qu’on s’attache aux notions de transgression et de dépense pour relire le capitalisme moderne, qu’on embrasse l’importance de Documents et d’Acéphale ou encore qu’on se penche sur le rôle de Laure ou celui d’André Breton, George Bataille est toujours là. Ce qui est intéressant aussi, c’est de constater que des liens, entre ceux qui portent Bataille d’une expérience à une autre, existent. Ainsi Le Journal de l’œil d’Anne-Lise Broyer témoigne de cette effervescence et recèle notamment un texte de Yannick Haenel, également présent dans la revue Edwarda ou encore dans La Besogne des images, livre associé aux expositions de Léa Bismuth. Bien sûr on pourrait dire que ça marche toujours comme ça, a qui appelle b qui connait c et que c’est seulement la logique du réseau qui opère, où encore que les spécialistes d’un même auteur se connaissent et dialoguent, mais ici chaque participant s’exprime selon une forme qui lui est propre et c’est quand même une figure qui inspire cette constellation mouvante, qui sédimentent et renouvellent projets et sans doute amitiés. Ce livre-là à quelque chose du cinéma des années soixante-dix, avec sa tonalité angoissée, cruelle, érotique, religieuse, paradoxale et hétéroclite, ses voix off aux textes ambitieux, poétiques, philosophiques mêlant couleur et noir et blanc.
Le premier texte de l’ouvrage, celui de Léa Bismuth, évoque « une triangulation désirante » propre à Bataille dans la manière dont il insère des textes liminaires à ses livres, retardant ainsi l’entrée dans le texte et faisant alors monter le désir du lecteur. Léa Bismuth faisant office de préfacière rejoue ce motif et l’on pourrait voir le triangle désirant, celui de René Girard, au cœur de la structure du Journal de l’œil. La figure de Bataille qui serait ainsi la pierre de touche de ce dialogue polyphonique entre les photographies d’Anne-Lise Broyer et les textes de Léa Bismuth, Mathilde Girard, Bertrand Schmitt, Muriel Pic et Yannick Haenel.
Une image appelle un mot qui appelle une image, tandis que se tisse une conversation amoureuse où chacun réagit à l’autre avec un substrat commun, cet insaisissable tiers qui inspire et menace. Bataille en partage donc, entre les images d’un œil fermé, mi-clos, encastré dans une crosse, zippé, un œuf aussi, puisque Bataille les aimaient et que les œufs sont des yeux, dont parfois s’écoule le lait, parmi les formes germinatives et thanatophores, peut-être un écho à ce que Bertrand Schmitt écrit être « ensemencé là, dans le rouge grenat de son ventre en tenailles », le rouge donc, du saignement marquant le passage en sacrifice vie et mort dans la même giclée au mouchoir contre l’émail sur le matelas sur le macadam et le visage surtout un sang faux d’apparat en rêves éveillés où meurent les chouettes conjurant la craquelure des armoires et les allées dépeuplées que le cycle recommence que les larmes de lait répondent à la pénétration génitale des globes oculaires.
"Journal de l’œil (les globes oculaires)" Anne-Lise Broyer Textes : Mathilde Girard, Yannick Haenel, Léa Bismuth, Muriel Pic, Bertrand Schmitt Editions Loco (coédité avec Nonpareilles) Isbn 9782843140112 25 euros
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