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Carmen Perrin, ouvertures en semis

Carmen Perrin
Carmen Perrin
Carmen Perrin expose à Paris dans la Galerie Catherine Putman jusque fin avril et à la Maison de l’Amérique latine jusqu’au 16 mai. Cette artiste suisse est née en 1953 à la Paz en Bolivie. Alors qu’elle est très jeune, sa famille s’installe Suisse où elle fait toutes ses études jusqu’au obtenir le diplôme à l’École des beaux-arts de Genève. Actuellement elle vit et travaille à Genève et occupe aussi régulièrement un atelier en France. Depuis les années 1980, l’artiste a énormément diversifié ses pratiques plastiques.

Voir en ligne : http://www.carmenperrin.com

Comme le montre la présente exposition en galerie, elle continue une pratique inventive du dessin et elle réalise aussi des créations volumiques, comme l’œuvre figurant sur le carton d’invitation, Masomenos, 2014, carton perforé et peint, 48 x 98 x 7 cm. Cette pièce n’est pas sans rappeler d’autres sculptures comme Espace éponges, 2007-2008, pour laquelle de nombreuses chaises de formes diverses avaient été multiplement perforées. La caractéristique principale du travail est de jouer des ouvertures pratiquées dans des surfaces et des objets. Elle obtient la mise en place de passages pour l’air et la lumière dans des matériaux concrets. Cette spécificité se retrouve dans les créations destinées à l’espace public, travaillées en relation avec des architectes. Le titre d’une œuvre est tout à fait emblématique : Un mur sépare, relie. Il s’agit d’une réalisation de 2008 pour le Centre multifonctionnel du comité international olympique à Lausanne. Plus récemment (2013), elle a réalisé une double porte tout à fait remarquable pour le hall de la gare Cornavin à Genève : les matériaux, béton ductal et verre, limitent le passage des corps et du vent, tandis que les multiples ouvertures circulaires, variables en taille et de hauteur différentes, laissent passer les regards. À Paris elle a réalisé dans l’espace public un grand mur de briques rouges pour le parc du jardin d’Éole dans le 18e en 2007. Aussi bien pour ces travaux extérieurs que pour les productions données à contempler dans des expositions, Carmen Perrin expérimente les qualités physiques des matériaux et le travail à l’aide d’outils spécifiques. Dans l’exposition de la galerie Catherine Putman ont été accrochés et installés différents exemples des systèmes de perforation mis en place par l’artiste sur des surfaces planes (papiers) et de petits livres.

Avant d’avoir lu l’intitulé, l’œil est intrigué par une œuvre comme Glisse, contourne et perce, 2014, 63 cm x 92 cm. Réalisé aux crayons de couleur et à la mine de plomb, ce all over de tracés linéaires en circonvolutions circulant sur toute la surface du papier est assorti de multiples ponctuations élargies, de la même couleur que celle des traits sur lesquels elles apparaissent. Mais comme l’explicite le titre, les marques ponctuelles ne sont pas seulement des élargissements mais aussi des percements. Les mines de plomb et les crayons de couleur traceurs ont été à certains endroits enfoncées dans l’étendue blanche du papier, préalablement posé sur un support semis rigide. Dans les œuvres de cette série, mais aussi dans d’autres productions plastiques, l’artiste a recours à un dispositif d’organisation plastique particulier, nommé dans les ouvrages recensant les ordonnances décoratives, le semis. Il semble intéressant de s’attarder sur cette « figure plastique » dont l’usage par cette artiste, comme chez d’autres plasticiens, est récurrent sans être systématique.

Le semis est l’occupation, par une ponctuation non régulière, de l’ensemble d’un espace donné. L’origine agricole du terme semis dit bien le mélange d’intentionnalité et d’aléatoire de l’action produite. La distribution des semis doit venir occuper tout un champ défini préalablement, sans qu’une régularité absolue des espacements soit nécessaire. Une action manuelle et gestuelle sous contrôle du visuel permet à l’artiste, comme à l’agriculteur, de distribuer ses germinations sans lieu privilégié. La répartition diversifiée des points en semis est à la fois une manière de séparer des marques et de les réunir. Les semis de Carmen Perrin sont d’abord issus de l’action générative productrice du dessin. Pourtant la présence marquée des ponctuations induit une seconde approche de l’œuvre par le regardeur. De loin, on remarque surtout ces ponctuations ; on s’approche et on découvre leur origine à partir du glissé contourné des lignes. Les autres œuvres réalisées à la mine de plomb ayant pour titres : Glisse, appuie et dérape, 2014, Glisse, pointe et perce, 2014, Glisse, appuie large, 2014, offrent une distribution assez semblable dans l’espace de la feuille de papier. Toutes ont été réalisées sur une surface posée à l’horizontale autour de laquelle le créateur peut se déplacer. Parce que radicalement différente de la position verticale centralisée de la peinture de chevalet, cette attitude modifie fondamentalement la symbolique spatiale. L’absence de détermination de l’orientation de l’espace, liée à la disparition de la place privilégiée de l’acteur créateur, offre ensuite une liberté nouvelle au regardeur. Au lieu de se laisser capter par une forme majeure, figurative ou abstraite, celui qui examine la création peut commencer son parcours visuel là où il veut et le poursuivre sans contraintes. Si l’usage du semis fut de tous les temps et de toutes les civilisations, sa généralisation par les artistes proches de ce qu’on a appelé la nouvelle abstraction montre la mise en place d’un système plus ouvert, qui offre aux spectateurs de multiples choix de parcours. Vous ne regardez jamais deux fois ces dessins de Carmen Perrin la même manière.

L’usage du semis n’est jamais systématique chez les artistes qui y ont recours. Dans d’autres séries de création, l’artiste suisse organise ses découpages circulaires progressifs selon des alignements réguliers verticaux et horizontaux. En s’appuyant sur la grille, autre figure récurrente de l’art contemporain, elle intervient dans l’épaisseur de magazines, sur des fourres de disques 33 tours ou dans des plaques superposées de caoutchouc mousse coloré. Dans la présente exposition, sont également montrées des créations où les perforations successives et graduelles selon la profondeur, ont été réalisées dans les couvertures et les pages de livres de la Série Noire. L’absence d’intervention sur le dos de livres laisse lisible les titres, drôles et accrocheurs. Les ouvrages maintenus définitivement entrouverts et verticaux par l’adjonction de coins de bois offrent au regard de multiples perforations 14, carton perforé et peint, 48 x 98 x 7 cm. Cette pièce n’est pas sans rappeler d’autres sculptures comme Espace éponges, 2007-2008, pour laquelle de nombreuses chaises de formes diverses avaient été multiplement perforées. La caractéristique principale du travail est de jouer des ouvertures pratiquées dans des surfaces et des objets. Elle obtient la mise en place de passages pour l’air et la lumière dans des matériaux concrets. Cette spécificité se retrouve dans les créations destinées à l’espace public, travaillées en relation avec des architectes. Le titre d’une œuvre est tout à fait emblématique : Un mur sépare, relie. Il s’agit d’une réalisation de 2008 pour le Centre multifonctionnel du comité international olympique à Lausanne. Plus récemment (2013), elle a réalisé une double porte tout à fait remarquable pour le hall de la gare Cornavin à Genève : les matériaux, béton ductal et verre, limitent le passage des corps et du vent, tandis que les multiples ouvertures circulaires, variables en taille et de hauteur différentes, laissent passer les regards. À Paris elle a réalisé dans l’espace public un grand mur de briques rouges pour le parc du jardin d’Éole dans le 18e en 2007. Aussi bien pour ces travaux extérieurs que pour les productions données à contempler dans des expositions, Carmen Perrin expérimente les qualités physiques des matériaux et le travail à l’aide d’outils spécifiques. Dans l’exposition de la galerie Catherine Putman ont été accrochés et installés différents exemples des systèmes de perforation mis en place par l’artiste sur des surfaces planes (papiers) et de petits livres.

Avant d’avoir lu l’intitulé, l’œil est intrigué par une œuvre comme Glisse, contourne et perce, 2014, 63 cm x 92 cm. Réalisé aux crayons de couleur et à la mine de plomb, ce all over de tracés linéaires en circonvolutions circulant sur toute la surface du papier est assorti de multiples ponctuations élargies, de la même couleur que celle des traits sur lesquels elles apparaissent. Mais comme l’explicite le titre, les marques ponctuelles ne sont pas seulement des élargissements mais aussi des percements. Les mines de plomb et les crayons de couleur traceurs ont été à certains endroits enfoncées dans l’étendue blanche du papier, préalablement posé sur un support semis rigide. Dans les œuvres de cette série, mais aussi dans d’autres productions plastiques, l’artiste a recours à un dispositif d’organisation plastique particulier, nommé dans les ouvrages recensant les ordonnances décoratives, le semis. Il semble intéressant de s’attarder sur cette « figure plastique » dont l’usage par cette artiste, comme chez d’autres plasticiens, est récurrent sans être systématique.

Le semis est l’occupation, par une ponctuation non régulière, de l’ensemble d’un espace donné. L’origine agricole du terme semis dit bien le mélange d’intentionnalité et d’aléatoire de l’action produite. La distribution des semis doit venir occuper tout un champ défini préalablement, sans qu’une régularité absolue des espacements soit nécessaire. Une action manuelle et gestuelle sous contrôle du visuel permet à l’artiste, comme à l’agriculteur, de distribuer ses germinations sans lieu privilégié. La répartition diversifiée des points en semis est à la fois une manière de séparer des marques et de les réunir. Les semis de Carmen Perrin sont d’abord issus de l’action générative productrice du dessin. Pourtant la présence marquée des ponctuations induit une seconde approche de l’œuvre par le regardeur. De loin, on remarque surtout ces ponctuations ; on s’approche et on découvre leur origine à partir du glissé contourné des lignes. Les autres œuvres réalisées à la mine de plomb ayant pour titres : Glisse, appuie et dérape, 2014, Glisse, pointe et perce, 2014, Glisse, appuie large, 2014, offrent une distribution assez semblable dans l’espace de la feuille de papier. Toutes ont été réalisées sur une surface posée à l’horizontale autour de laquelle le créateur peut se déplacer. Parce que radicalement différente de la position verticale centralisée de la peinture de chevalet, cette attitude modifie fondamentalement la symbolique spatiale. L’absence de détermination de l’orientation de l’espace, liée à la disparition de la place privilégiée de l’acteur créateur, offre ensuite une liberté nouvelle au regardeur. Au lieu de se laisser capter par une forme majeure, figurative ou abstraite, celui qui examine la création peut commencer son parcours visuel là où il veut et le poursuivre sans contraintes. Si l’usage du semis fut de tous les temps et de toutes les civilisations, sa généralisation par les artistes proches de ce qu’on a appelé la nouvelle abstraction montre la mise en place d’un système plus ouvert, qui offre aux spectateurs de multiples choix de parcours. Vous ne regardez jamais deux fois ces dessins de Carmen Perrin la même manière. L’usage du semis n’est jamais systématique chez les artistes qui y ont recours. Dans d’autres séries de création, l’artiste suisse organise ses découpages circulaires progressifs selon des alignements réguliers verticaux et horizontaux. En s’appuyant sur la grille, autre figure récurrente de l’art contemporain, elle intervient dans l’épaisseur de magazines, sur des fourres de disques 33 tours ou dans des plaques superposées de caoutchouc mousse coloré.

Dans la présente exposition, sont également montrées des créations où les perforations successives et graduelles selon la profondeur, ont été réalisées dans les couvertures et les pages de livres de la Série Noire. L’absence d’intervention sur le dos de livres laisse lisible les titres, drôles et accrocheurs. Les ouvrages maintenus définitivement entrouverts et verticaux par l’adjonction de coins de bois offrent au regard de multiples perforations circulaires à partir des deux couvertures. Sur ses livres, dorénavant maintenus en position érectile, Carmen Perrin a choisi cette fois encore une distribution d’entailles rondes de tailles différentes en semis. L’opposition des semis avec les verticalités quadrangulaires des ouvrages tend à faire ressortir le caractère féminin de cette figure. L’avènement du semis marque la disparition de la figure dominante, celle qui a un nom, celle qui souvent donne titre à l’œuvre. Comme nous l’avons vu, les titres choisis par Carmen Perrin sont indicatifs des procédures génératives des créations. Dans les deux séries d’œuvres examinées ici, les constituants plastiques (semis et perforations) ne visent ni la narration (ils n’expliquent rien) ni le sublime. Seuls comptent les résultats, les aspects (plus que le prospect) d’une création qui ne se soucie ni des intentions, ni des arrières pensées, mais seulement des sentiments plastiques issus des résultats visibles. Le refus d’une figure centrale hégémonique doit, me semble-t-il, être considéré comme l’une des tendances marquantes de la modernité en peinture depuis le début du vingtième siècle. Les semis sont apparus comme une des manières de se défaire du pathétique de surface au profit d’une interrogation sur les lieux de la figure et les possibilités de lisibilité du regard. Les Forages, puisque c’est le terme choisi par l’artiste pour toute la série, jouent sur des profondeurs variées. Cela se combine avec les variations de taille des perforations en semis qui donnent l’impression que certaines avancent tandis que d’autres reculent. L’un des objectifs de Carmen Perrin est de faire cheminer les regards (qui ne sauraient se passer de la pensée), de les conduire puis de les égarer.

La relation scopique ne rassure plus, au contraire elle installe le doute au centre de la relation regardeur-tableau. Beaucoup de plasticiens espèrent ainsi que les œuvres, dans lesquelles la localisation des ponctuations fait problème, viennent rappeler que face à cet écran que l’on nomme tableau, voir reste une question.

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