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Carlos Cruz-Diez à la Maison de l’Amérique Latine

  • dimanche 8 juillet 2007
Cruz-Diez. "Chromosaturation", 1965-2007 Environnements pour la
Cruz-Diez. "Chromosaturation", 1965-2007 Environnements pour la
Des physichromies aux chromointerférences, des couleurs additives au chromosaturations, tous les aspects de l’œuvre de Carlos Cruz-Diez sont présents à cette exposition à la Maison de l’Amérique Latine. Ses propos sur la couleur sont à lire sur son site.

Voir en ligne : www.cruz-diez.com

Pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre de Cruz-Diez une visite à la Maison de l’Amérique Latine s’impose. Il y a toujours urgence à découvrir le trajet hors du commun de cet artiste, installé en France depuis plus de quarante ans après avoir quitté le Vénézuéla son pays d’origine qui a offert au monde quelques artistes majeurs dont il fait partie. Mais rien de tout cela n’est plus à démontrer pour ceux qui connaissent ces œuvres dont la taille peut osciller de celle délicate et vibratile d’un petit format à celle imposante et tout autant vibratile d’un hall entier d’aéroport.

Car Carlos Cruz-Diez est l’un des plus importants artistes de sa génération. On a associé son œuvre au mouvement de l’OP ART, mais si les effets visuels ou optiques sont essentiels, ce terme, par trop limité comme toutes les appellations non contrôlées, occulte surtout l’apport majeur de cette œuvre, la réflexion sur la couleur. C’est à partir de la couleur qu’il est nécessaire de penser sa démarche et ce n’est que comme des moyens permettant de mettre en œuvre cette pensée que les phénomènes perceptifs sur lesquels il a travaillé trouvent leur légitimité.

Qu’est donc la couleur ? Pour Carlos Cruz-Diez, elle est tout sauf cet élément second, cet adjuvant nécessaire que s’est inventée la pensée ratioïde du trait et du dessin pour faire entrer un semblant de vie et de vibration, un peu d’incarnation, dans les formes sèches oscillant entre la copie et le schème.

La couleur est pour lui à la fois autonome et indéfiniment changeante. Par cette double affirmation, il inscrit une ligne de partage dans l’histoire de l’art. Bien sûr il y eut des prodromes, de Goethe à Kandinsky en passant par les des post-impressionnistes, mais il est celui qui a fait de la couleur une puissance incontournable se situant à la croisée d’un double processus perceptif et donc esthétique mais aussi cognitif. Car la sensation est porteuse d’une véritable connaissance et l’affirmation de l’autonomie de la couleur est sans doute depuis la Renaissance, l’un des moments essentiels qui a vu se rejoindre les deux branches qui constituent l’art, celle qui le rattache à la fascination et celle qui le rattache à la construction.

Ainsi, la couleur est donc à comprendre comme une sorte d’anti-concept, ou du moins comme un terme qui, n’étant pas un concept et ne pouvant pas l’être, on se souviendra ici des réflexions de Wittgenstein démontrant cette impossibilité, ouvre véritablement l’esprit, pensée et sens à égalité, à une connaissance nouvelle car elle est à la fois celle d’un phénomène pur et celle de leurs relations mutuelles restées pour l’essentiel inexplorées.

Le fait que la couleur soit indéfiniment changeante, en lui apparaissant comme une évidence, a déterminé, à une époque où changer l’art et changer la vie étaient presque synonymes, la base théorique qui lui a permis d’ouvrir la porte sur un monde nouveau et de partir à sa découverte. Mais cet aspect changeant de la couleur n’est pas en lui-même le plus important. Tant d’autres choses sont changeantes dans la nature. Ce qui importe c’est cette dimension préconceptuelle de la couleur, le fait que comme le note Caros Cruz-Diez, elle agisse sur ceux qui la reçoivent et fasse naître en eux des résonances affectives. Ce point est sans doute le plus important dans la mesure où cette dimension affective est une dimension « pure », c’est-à-dire non encore saisie par le langage et la pensée conceptuelle. La vertu purificatrice de la couleur tient en ceci que reconnue et présentée pour elle-même, dans des espaces comme ceux qu’a inventés Carlos Cruz-Diez et qu’il nomme des Chromosaturations, elle a la puissance de nous faire pénétrer dans un monde d’où les repères rationnels sont absents. Nous sommes à la fois dans une dimension qui peut passer pour enveloppante, la lumière est alors proche d’une sorte de bain amniotique fondamental, et dans une dimension qui révèle notre fascination pour tout ce qui peut se glisser dans notre cerveau, envahir notre corps sans avoir de véritable consistance, sans être ni une forme ni un corps mais seulement une vibration.

La couleur, et l’on comprend pourquoi la pensée rationnelle, celle du dessin en particulier, a tenté pendant des siècles de la contrôler, est pour cette pensée, un élément à la fois plus profond et plus ancien qu’elle et qui a le pouvoir de la faire tomber de son piédestal. L’affect réveillé par la couleur se révèle plus puissant que la suite ratioïde des raisonnements inventés par la pensée du trait et du verbe.

La couleur nous renvoie dans le monde d’avant les mots et cela reste pour nous toujours aussi problématique à affronter. Il paraît donc nécessaire de mesurer l’œuvre de Carlos Cruz-Diez à l’aune de la longue lutte que se livre en nos cerveaux nos aspirations à la plénitude et nos aspirations, apprises depuis moins longtemps, elles, à la mise en ordre du réel comme préalable à sa perception.

La couleur en ce sens est donc une sorte de percept pur, ce qui veut dire qu’elle existe avant et à côté des mots, qu’elle leur échappe. Partir de la couleur pour bâtir une œuvre, c’était plonger le couteau de l’affectivité dans le corps blanc et désincarné d’une pensée réfugiée dans le monde des idées. C’était donc bien ouvrir une brèche profonde et irréversible dans l’histoire de l’art. Voilà ce que Carlos Cruz-Diez nous permet encore et toujours d’éprouver.

Des physichromies aux chromointerférences, des couleurs additives au chromosaturations, tous les aspects de l’œuvre de Carlos Cruz-Diez sont présent à cette exposition à la Maison de l’Amérique Latine. Ses propos sur la couleur sont à lire sur son site.

Jean-Louis POITEVIN

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++INFO++

Exposition Carlos CRUZ-DIEZ (25 avril - 13 juillet 2007)

Maison de l’Amérique Latine 217, boulevard Saint-Germain 75007 PARIS www.mal217.org, www.cruz-diez.com

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