A l’entrée de l’exposition, on découvre, tout d’abord, une vidéo montrant l’artiste qui joue « Madame le professeur », en tailleur et lunettes strictes, exposant avec beaucoup de sérieux un cours sur la manière dont les habitants des Balkans utilisent leurs organes sexuels, masculins ou féminins, pour conjurer le sort. Ainsi, nous apprenons que le corps et les parties génitales ont une place prépondérante dans la fertilité et les rites agricoles des pays Balkans. En cas de fortes pluies, par exemple, les femmes du village courraient dans les champs, et levaient leurs jupes pour effrayer les dieux et mettre fin à la pluie. Marina nous explique que chacune de ces manifestations érotiques avaient à l’époque un but bien précis, comme avoir de meilleures récoltes : les hommes « fécondaient » alors la terre ; protéger ses enfants du mauvais esprit :
Ou encore regagner l’amour de son mari, se préserver de l’impuissance la nuit de noces, guérir un enfant malade, etc.
A la fois remède, philtre d’amour, engrais pour les paysans, le sexe est investi de pouvoirs magiques. Et son utilisation se veut un rituel, contre toutes les formes de malheur.
Marina Abramovic a choisi de reproduire dans ses photographies certaines scènes traditionnelles dans lesquelles elle se met en scène, habillée en costume folklorique, en compagnie d’acteurs amateurs. Une photographie nous montre un groupe de femmes en costumes traditionnels relevant leurs jupes pour exposer leur sexe à la pluie, une autre nous montre encore un groupe de femmes se caressant les seins sur une colline, pour éviter la sécheresse à venir. Ces images donnent alors une certaine visibilité aux légendes racontées dans les livres, tout en se libérant à la fois du poids symbolique de ces scènes traditionnelles. Dans cette mise en scène, le vide symbolique des images pornographiques cède la place à l’érotisme du folklore.
Une installation vidéo montre, elle, deux rangées d’hommes en costumes traditionnels, avec la braguette ouverte, avec au milieu la chanteuse Olivera Katerina, géante, deux fois plus grande que les hommes, vêtue d’une longue robe noire, et s’exclamant
On remarque que la taille démesurée de cette femme qui préside cette assemblée masculine, et la forme en croix de l’installation, donnent une dimension religieuse à cette scène « troublante ». Toute cette mise en scène nous ramène aux temps anciens, à l’époque où la religion expliquait tout, où tout était rituel. S’ouvrent alors des portes soigneusement fermées par des siècles de civilisation, de rétention, de bonnes manières, de mesure.
L’exposition
célèbre donc, au final, le pouvoir de la sexualité et de la tradition, à partir des origines natales de l’artiste, après deux autres séries exécutées auparavant,
(1997), qui lui valut la remise du Lion d’or du meilleur artiste lors de la Biennale de Venise et
(2003).
Le travail qu’on connaissait d’elle jusqu’à présent, au travers de ses nombreuses performances, nous frappait d’entrée par sa dimension personnelle, intime, et impudique. Aujourd’hui,
nous fait découvrir cette nouvelle approche récente de l’artiste, plus politique, plus liée à son environnement. Quand elle avait vingt ans, Marina avait fuit mentalement les Balkans qui l’oppressaient, maintenant, en tant que femme d’âge mur, elle a décidé de revisiter à sa manière la culture d’où elle est partie, et parvient à nous montrer une image de l’érotisme autrement que sous l’aspect banalisé dont on le revêt couramment. Pour la première fois, Marina Abramovic lui restitue par cette série une grande dimension de spiritualité, avec toute l’émotion primaire et viscérale d’une humanité qui vient du fond des âges.
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