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Arrêt sur image. Les failles ordinaires, Géraldine Lay.

Une chronique arlésienne, été 2012

2001 (un mince vernis de réalité)
2001 (un mince vernis de réalité)
Dans un ancien cinéma de quartier, un arrêt sur images s’impose. Des photographies sont accrochées au mur d’une salle rectangulaire, encadrées sobrement, toutes en bois blanc. J’entre dans l’ancienne salle du cinéma de la Roquette, ancien quartier de mariniers, situé dans le bas de la ville d’Arles. Je suis au centre de l’exposition "Les Failles ordinaires", et en pivotant sur moi -même, je vois les images défiler.

Voir en ligne : www.geraldinelay.com/

Je perçois les qualités de la photographe, à travers cette exposition mêlant plusieurs propos. Un arrêt sur travail photographique d’une décennie, en somme. Des photographies de la série "Un mince vernis de réalité" (2002, projet collectif), d’autres prises lors d’une résidence à Beauvais en 2010 (organisée par l’association Diaphane, à l’occasion des Photaumnales sur le thème des Brèves de vies), et enfin, celles du travail actuel, sans temps délimité, sur les villes du Nord, se mélangent, s’entrecroisent… et, peut-être, se perturbent.

En effet, deux femmes entrent. Elles soulèvent le manque d’homogénéité des formats, des marges, des ambiances, bref, elles voient justes vite. Nous entamons une discussion. J’explique ce que je sais et perçois : les photographies sont issues de trois séries différentes, associées ici dans l’exposition intitulée "Les failles ordinaires". Elles regardent encore plus. Elles sont perplexes et pourtant, elles sont interpellées. Le rouge serait la couleur de l’exposition. Le rouge court, même en filigrane, sur chaque image. Lors de cette semaine (la semaine des Rencontres d’Arles 2012), j’ai souvent dit "il serait judicieux d’allonger la photographie sur le divan". En effet, derrière une image se cache beaucoup, et beaucoup du photographe. Et les images parlent.

"Un mince vernis de réalité" questionne par la crudité ordinaire des images telles que le genou écorché ou les cerises mangées, par exemple. Lors de sa résidence à Beauvais, Géraldine Lay montre la ville avec ses habitants et son architecture. Elle photographie avec un appareil reflex 24x36. Elle se promène et saisit l’instant. Elle arpente et vise.

Pas de bavardage inutile dans une ère du tout numérique, seule compte l’instant et pas n’importe lequel, l’instant choisi par la photographe, et cet instant devient son style. De cet instant en couleur saisi sur le vif, Géraldine Lay crée une poétique du réel, une cinématographie de l’image fixe, un désir d’éprouver "le voir" et non "le lire". Sans doute, ce qui rend fascinant ses photographies sont les "failles " sensibles et féminines de son regard posé sur le réel, nous faisant glisser souvent vers des "ailleurs" que nous projetons. "Où commence la scène" est le titre de l’ouvrage sur le travail réalisé à Beauvais, et ce titre cristallise bien l’essentiel de ce que cherche l’auteur et ce que perçoit les regardeurs dans ces images arrêtées.

Géraldine Lay amène à l’expérience du sensible par le réel, son réel, devenant souvent des imaginaires, des récits, des fictions pour le regardeur et pour elle (certes, c’est une de ses intentions d’auteur, et cela est perceptible). Entre réel et fiction, la faille s’ouvre selon la "psychologie tectonique" de la photographe. Un arrêt sur image d’un réel. Un arrêt sur image d’un film à venir (expression emprunté au poète Jean-Marie Gleize) ou présent. Un arrêt sur image d’un "ça a été" si étouffant dans l’histoire de la photographie.

En effet, tout ceci est visible dans cette minutieuse petite exposition photographies "Les failles ordinaires" au Capitole. Après "le rendu" (le choix et la présentation au mur), en quelque sorte, le devenir des prises de vue varie selon trois registres (pour simplifier) : l’aspect cinématographique accentué par les formats plus grands et sans marge comme la femme vêtue d’une robe bleue fumant devant un pas de porte, l’aspect pictural comme les quelques images aux tonalités Edward Hopper (le couple à la fenêtre, Saint Pétersbourg, 2011) et l’aspect "enregistrement du réel sans mis en scène mais au bon moment et au bon cadrage" (la pin up, Paris 2010). Géraldine Lay est une photographe qui sait voir et qui sait pourquoi elle photographie. Et cela dès le déclic.

Rares sont les photographes, actuellement, qui revendiquent la qualité du médium, d’un savoir-faire du regard, la faculté de saisir l’instant en couleur et de pointer juste. Géraldine Lay en fait partie indéniablement.

Etonnant, le lendemain, à un autre lieu "L’Espace pour l’Art" (près du musée Réattu), au vernissage, des photographes sont regroupés pour leur vision d’Arles à travers une image choisie par la responsable de la galerie, Laetitia Talbot, la photographe de l’exposition "Les failles ordinaires" est présente.

En effet, dans la vitrine de la galerie, Géraldine Lay expose une perruque prise dans une vitrine arlésienne, dans un format plus petit encore que les photographies du Capitole (l’ancien cinéma de la Roquette). Nous discutons. Géraldine Lay m’explique sa vision, son propos, son parti-pris de l’exposition "les failles ordinaires" présentée au Capitole. En effet, elle a choisi délibérément d’accrocher ses photographies de diverses séries en refusant la chronologie et en préférant la diversité et la variation. Elle ouvre ainsi l’horizon des possibles du regardeur en refusant d’aligner des séries par tonalité chromatique, de temporalité et autres paramètres trop rigoureux, mais plutôt en suivant sa subjectivité.

Je repars sur Lyon. Je discute avec la galeriste du Réverbère sur l’édition 43 des Rencontres d’Arles consacrées à l’Ecole nationale supérieure de la photographie. Géraldine Lay est représentée par cette galerie à Lyon. La galeriste, Catherine Dérioz, m’explique que le parti-pris assumé de l’artiste va à l’encontre de la standardisation actuelle des accrochages. L’uniformité gagne partout, même en art. Il faut des lignes de cadres identiques contenant des formats identiques par tonalité identique. Et bien là, ce n’est pas le cas, sans pour autant sombrer dans les quelques mauvais accrochages rencontrés cet été à Arles, plaçant le regardeur à hauteur de petit chien (se mettre à quatre pattes pour observer l’image n’est pas très convaincant). Ici, le regardeur se rapprochera de certains formats pour voir les détails même si les formats sont de trois sortes.

L’exposition "Les failles ordinaires" vaut le détour de par sa présentation hors standard certes mais d’une sobriété élégante imparable, respectant et plaçant la force du contenu des images au bon endroit, celle du regard. Géraldine Lay crée des imaginaires dans sa capture du réel, par son oeil et uniquement son oeil. Elle suscite de par son accrochage, des rythmiques, des scansions visuelles… propices à la poésie et à l’émotion. Aucune grandiloquence, tout est en subtilité dans cette petite et intense exposition. Une respiration de l’oeil bienvenue dans un monde de plus en plus aseptisé n’arrivant plus à voir ce qui nous entoure, et de surcroit le quotidien.

Pour finir, un lundi à la mi-juillet, je re-visite l’exposition avec un photographe adepte de l’instant noir et blanc, auteur du " voyage mexicain" entre autres. Rapidement, il commente. Géraldine Lay cherche l’instant décisif en couleur. Elle sait observer, elle sait photographier. Elle a déjà une oeuvre. Elle doit continuer, elle a du talent. Point. Lapidaire. Précis. Efficace.

Je n’ai plus rien à ajouter après ces mots. Je repars du Capitole satisfait d’avoir eu des éclairages différents sur une exposition au charme particulier et je décide de rendre compte de cet agréable moment simple.

Nota Bene : j’oubliais. Plus tard, j’ai su que les deux dames étaient des journalistes de quotidiens nationaux et pour le photographe, vous avez deviné.

Avignon, le 19 juillet 2012

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++INFO++

Exposition : "Les failles ordinaires", Géraldine Lay. Capitole (Association du Méjan) /21, rue Laurent Bonnemant, Arles

(et une publication éditée par Actes Sud du même nom "Les failles ordinaires, juillet 2012).

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