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« Alchemy box »

Isabelle Cornaro, Morgan Fisher, Ryan Gander, Mark Geffriaud, Wade Guyton, Jimmy Robert, John Stezaker

Morgan Fisher
Morgan Fisher
Sous son titre obscur, l’exposition « Alchemy Box » regroupe des acquisitions récentes du FRAC Île-de-France autour de la notion de montage, entendue comme technique cinématographique, collage photographique, assemblage... Dans la veine des pièces tutélaires de Morgan Fisher et de John Stezaker, ces pièces dédramatisent le procédé qui gouverne leur conception. Sans jamais faire appel aux nouvelles technologies, l’ensemble donne la sensation d’une esthétique « moderne », sentiment renforcé par l’architecture de la Maison d’Art Bernard Anthonioz.

Voir en ligne : http://www.ma-bernardanthonioz.com/

L’identité de la demeure persiste dans l’espace d’exposition aménagé, partant d’une rampe, autour de différents niveaux qui communiquent ensemble par de larges ouvertures et des fenêtres donnant sur le parc, l’une d’elle placée juste au-dessus d’une cheminée. Il apporte ainsi un décor intéressant pour une exposition qui a à découdre avec le cinéma, comme dans la pièce de Morgan Fisher, « ( ) », laquelle consiste en une juxtaposition d’« inserts » cinématographiques. Ces plans rapprochés sur des détails apparaissent au milieu d’une action. Ils font appel aux habitudes du spectateur qui interprète ces signaux pour anticiper la suite de l’action. Ici, tous ces inserts sont tous issus de films différents. Sortis de leurs contextes respectifs, ils ne font pas sens dans une chaîne narrative. Le projecteur 16mm, présent dans la salle d’exposition, est proche des sièges des spectateurs. Son ronronnement est le seul son qui émane de cette pièce muette.

L’installation d’Isabelle Cornaro appelée « Homonymes (avant reproduction mécanique) » annonce, outre le processus ultérieur de reproduction, un jeu d’associations entre les objets dispersés sur trois socles. Cette association provient de l’image mentale que nous nous faisons d’un objet selon la famille à laquelle nous le relions. Une table est réservée aux outils, une autre aux ornements et sur la troisième, les objets sont figuratifs, suivant parfois exactement la fonction qu’ils remplissent (un plat à poisson en forme de poisson). Au-dessus de leurs sarcophages disproportionnés, qui semblent plus conçus pour les contenir que pour en être les supports, ces assemblages hétéroclites et colorés délivrent leur sens par leur prolifération et leur rapprochement. L’allusion à une « reproduction mécanique » ultérieure, potentielle, renvoie à l’ouvrage historique de Walter Benjamin et la facture des objets éparpillés, un marché aux puces d’objets appartenant à une autre histoire.

A l’inverse, la pièce de Ryan Gander, dont le titre donne son nom à l’exposition, contient un inventaire des objets contenus dans une boîte. Chez Ryan Gander, l’ « Alchemy box » dissimule ainsi au regard les objets qu’elle renferme. Sur le mur, une liste énumère ce que la boîte contient. Suite à un tiret, une phrase nominale donne généralement l’information principale, assortie d’une autre, plus longue, ajoutant des détails plus ou moins fantaisistes : « Un ticket à gratter de la National Lottery (numéro de série […]). Le ticket n’a pas été gratté et est toujours valable. Il coûte 1£ pour un gain potentiel maximum de 10 000£ ». Ici, la rigueur conceptuelle est associée à l’alchimie du verbe, les objets dissimulés par leur contenant étant à imaginer d’après cette mince notice. Le titre de cette pièce, « Decribe the effect of watching a Godard film (Alchemy Box n.13 ) » indique, outre la transformation opérée par notre cerveau sur ce contenu invisible, la dimension de la description de l’effet produit par le visionnage d’un film de Godard.

Enfin, dans la pièce de Marc Geffriaud, le montage apparaît suivant le « modèle de la constellation ». La pièce s’intitule « ‘Good Heavens,’ he said to himself. ‘What trouble a man can get into if he takes a walk in a wood after the Queen’s bitch and the King’s horse have passed by ! How dangerous it is to sit at a window, and how difficult to be happy in this life’ ». Un bureau en bois est percé et recouvert d’une plaque de verre à travers laquelle on voit des fragments de bois et des papiers. Un livre dont les pages sont sectionnées suivant le sens des lignes imprimées, en leur centre, est posé sur ce bureau. Sur le même plan, une feuille pliée offre un plan vertical sur lequel sont projetés quatre-vingts diapositives reprenant les gestes appliqués sur les éléments posés sur le même bureau... ad libitum. Cette œuvre compliquée démonte une multitude de plans et de points de vue dans l’espace pour générer entre eux un abîme narratif. A nouveau, un titre bavard et programmatique sonne comme un extrait, passage d’un dialogue dont il faudrait retrouver la source. Le mobilier, porteur d’une ambiance datée, ainsi que la qualité des projections apportée par le Carroussel, donne la pièce comme fragment d’une mise en scène transportée depuis un espace-temps décalé, filmique.

Dans chaque pièce, il est fait appel à un élément extérieur et qui serait la clef. « Coupé au montage », cette pièce manquante au puzzle figure dans le titre, double de la pièce par le biais du discours. Chez Morgan Fisher, un signe typographique rappelle la valeur de complément par laquelle ces images fonctionnent au sein d’une scène filmée. Isabelle Cornaro décrit la sienne par un terme de linguistique avant d’en annoncer le devenir. Ryan Gander et Mark Geffriaud offrent en guise de clefs des références ou des citations qui se trouvent comme « hors champ » et suggèrent une lecture mentale, une dimension narrative à la charge du regard du spectateur.

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++INFO++

« Alchemy box »

Isabelle Cornaro, Morgan Fisher, Ryan Gander, Mark Geffriaud, Wade Guyton, Jimmy Robert, John Stezaker

A partir d’un choix d’œuvres de la collection du Frac Île-de-France Commissaire de l’exposition Christophe Gallois

Du 3 juin au 18 juillet 2010

Maison d’Art Bernard Anthonioz Nogent-sur Marne

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